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n° 1
Jacques Prévert
Le cosmonaute
et son hôte 12 points B
Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût.
Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
Jean de La Fontaine
Si tu veux apprendre
des mots inconnus,
récapitulons,
récatonpilu.
Si tu veux connaître
des jeux imprévus,
locomotivons,
locomotivu.
Je suis le renard
je cours après toi
plus loin que ma vie.
Comme tu vas vite !
Si je m'essoufflais !
Si je m'arrêtais !
Jean Tardieu
Il suffit d'un mot
Pour prendre le monde
Au piège de nos rêves
Il suffit d'un geste
Pour relever la branche
Pour apaiser le vent
Il suffit d'un sourire
Pour endormir la nuit
Délivrer nos visages
De leur masque d'ombre
Mais cent milliards de poèmes
Ne suffirait pas
Pour dire
Comme il est bon d'aimer
Jean-Pierre Siméon
Le vert pour les pommes et les prairies,
Le jaune pour le soleil et les canaris,
Le rouge pour les fraises et le feu,
Le noir pour la nuit et les corbeaux
Le gris pour les ânes et les nuages,
Le bleu pour la mer et le ciel
Et toutes les couleurs pour colorier
Le monde
Chantal Couliou
Tu peux perdre le nord
comme on dit
tu peux perdre patience
tu peux perdre ton temps
perdre la mémoire
et ses chemins aveugles
Le sommeil peut glisser
comme une truite
dans tes mains
Tu peux perdre ton sourire
Mais ne perds pas
ne perds jamais
l'orange de tes rêves
Jean-Pierre Siméon
Qui décoiffe la mer
Avec des mains qu'on ne voit pas ?
Qui roule sa chanson
Dans la gorge des torrents ?
Qui n'est jamais si lourd
Que quand un oiseau meurt ?
Le vent la pierre et le silence
Qui est ronde comme une joue
Et plus lourde que la peine ?
Qui habille le monde
Quand il se fait tard ?
Qui souffle chaque soir
La bougie du soleil ?
La pierre le silence et le vent
Jean-Pierre Siméon
Il y avait une pomme
A la cime d'un pommier ;
Un grand coup de vent d'automne
La fit tomber sur le pré !
Pomme, pomme,
T'es-tu fait mal ?
J'ai le menton en marmelade
Le nez fendu
Et l'oeil poché !
Elle tomba, quel dommage,
Sur un petit escargot
Qui s'en allait au village
Sa demeure sur le dos
A ! Stupide créature
Gémit l'animal cornu
T'as défoncé ma toiture
Et me voici faible et nu.
Dans la pomme à demi blette
L'escargot, comme un gros ver
Rongea, creusa sa chambrette
Afin d'y passer l'hiver.
Ah ! Mange-moi, dit la pomme,
Puisque c'est là mon destin ;
Par testament je te nomme
Héritier de mes pépins.
Tu les mettras dans la terre
Vers le mois de février,
Il en sortira, j'espère,
De jolis petits pommiers.
Charles Vildrac
La pluie et moi marchions
Bons camarades
Elle courait devant et derrière moi
Et je serrais notre trésor dans mon coeur
Elle chantait pour nous cacher
Elle chantait pour endormir mon coeur
Elle passait sur mon front sa peau mouillée
Et humaine ma chère pluie
Elle tendait l'oreille
Pour savoir si mon chant silencieux était anéanti
Elle me met les mains sur les épaules
Et court tant haut dans la plaine du ciel
Et tant me montre les diamants du soleil
Et tant toujours me caresse la peau
Et tant toujours me chante dans les os
Que je deviens un bon camarade
J'entonne une grande chanson
Qu'on entend et les cabarets et les oiseaux
Disent à notre passage Maintenant
Ils chantent tous les deux.
Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu'il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.
Jacques Prévert
Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer.
et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fût petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galant pour toute besogne,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la Cigogne le prie.
"Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. "
A l'heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort la politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,
En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.
Jean de La Fontaine
L’Autre :
Celui d’en face, ou d’à côté,
Qui parle une autre langue
Qui a une autre couleur,
Et même une autre odeur
Si on cherche bien…
L’Autre :
Celui qui ne porte pas l’uniforme
Des bien-élevés,
Ni les idées
Des bien-pensants,
Qui n’a pas peur d’avouer
Qu’il a peur…
L’Autre :
Celui à qui tu ne donnerais pas trois sous
Des-fois-qu’il-irait-les-boire,
Celui qui ne lit pas les mêmes bibles,
Qui n’apprend pas les mêmes refrains…
L’Autre :
N’est pas nécessairement menteur, hypocrite,
vaniteux, égoïste, ambitieux, jaloux, lâche,
cynique, grossier, sale, cruel…
Puisque, pour Lui, l’AUTRE…
C’est Toi
Robert Gélis
Araignée du matin: chagrin,
pensait un bébé coccinelle
cherchant à libérer ses ailes.
Araignée du midi: souci
grognait un rat dans son chagrin
de voir un chat près de sa belle.
Araignée du soir: espoir,
disait au briquet l'étincelle
mourant dans le vent du jardin.
Mais l'araignée dans sa nacelle
prisonnière à vie de sa faim
rêvait qu'elle était hirondelle.
Pierre Béarn
Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'Ortolans.
Sur un Tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le Rat de ville détale ;
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
Achevons tout notre rôt.
- C'est assez, dit le rustique ;
Demain vous viendrez chez moi :
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de Roi ;
Mais rien ne vient m'interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre.
Jean de La Fontaine
«Je suis brin de bois noirci
et travaille jour et nuit.
Je soulève—c'est inouï—
cent fois mon poids, et sans cric.
Du grenier jusqu'au fournil
j'engrange des grains de riz.
Ne touchez pas à mon nid
vous feriez venir la pluie. »
C'est ce qu'un soir m'avait dit,
quand nous étions entre amis,
la fourmi.
Michel Beau
Caillou noir,
Pas d'espoir.
Caillou rouge,
Rien ne bouge.
Caillou rond,
Pas un rond.
Caillou gris,
Rien de pris.
Caillou vert,
On le perd.
Caillou rose,
Peu de chose.
Caillou jaune,
On le prône,
Caillou blanc,
Vif argent.
Caillou d'or,
Quel trésor !
Caillou bleu,
Qui dit mieux ?
Moi, moi, moi,
Dit le fou:
Caillou plat
Et sans trou.
Maurice Carême
Prenez du soleil
Dans le creux des mains,
Un peu de soleil
Et partez au loin!
Partez dans le vent,
Suivez votre rêve ;
Partez à l'instant,
La jeunesse est brève !
Il est des chemins
Inconnus des hommes,
Il est des chemins
Si aériens !
Ne regrettez pas
Ce que vous quittez.
Regardez, là-bas,
L'horizon briller.
Loin, toujours plus loin,
Partez en chantant !
Le monde appartient
A ceux qui n'ont rien.
Maurice Carême
Sur le chemin près du bois
J'ai trouvé tout un trésor:
Une coquille de noix
Une sauterelle en or
Un arc-en-ciel qu'était mort.
A personne je n'ai rien dit
Dans ma main je les ai pris
Et je l'ai tenue fermée
Fermée jusqu'à l'étrangler
Du lundi au samedi.
Le dimanche l'ai rouverte
Mais il n'y avait plus rien !
Et j'ai raconté au chien
Couché dans sa niche verte
Comme j'avais du chagrin.
Il m'a dit sans aboyer:
« Cette nuit, tu vas rêver. »
La nuit, il faisait si noir
Que j'ai cru à une histoire
Et que tout était perdu.
Mais d'un seul coup j'ai bien vu
Un navire dans le ciel
Traîné par une sauterelle
Sur des vagues d'arc-en-ciel !
René de Obaldia
On voit tout le temps, en automne,
Quelque chose qui vous étonne ,
C'est une branche tout à coup ,
Qui s'effeuille dans votre cou.
C'est un petit arbre tout rouge,
Un , d'une autre couleur encor ,
Et puis partout ,ces feuilles d'or
Qui tombent sans que rien ne bouge.
Nous aimons bien cette maison,
Mais la nuit si tôt va descendre !
Retournons vite à la maison
Rôtir nos marrons dans la cendre.
Le petit cheval dans le mauvais temps,
qu'il avait donc du courage !
C'était un petit cheval blanc,
tous derrière et lui devant.
Il n'y avait jamais de beau temps
dans ce pauvre paysage.
Il n'y avait jamais de printemps
ni derrière, ni devant.
Mais toujours il était content,
menant les gars du village,
à travers la pluie noire des champs,
tous derrière et lui devant.
Sa voiture allait poursuivant
sa belle petite queue sauvage.
C'est alors qu'il était content,
eux derrière et lui devant.
Mais un jour, dans le mauvais temps,
un jour qu'il était si sage,
il est mort par un éclair blanc,
tous derrière et lui devant.
Il est mort sans voir le beau temps,
qu'il avait donc du courage !
Il est mort sans voir le printemps
ni derrière ni devant.
Paul Fort
J'ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.
J'ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.
J'ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.
J'ai vu le menuisier
Approcher le rabot.
J'ai vu le menuisier
Donner la juste forme.
Tu chantais, menuisier,
En assemblant l'armoire.
Je garde ton image
Avec l'odeur du bois.
Moi, j'assemble des mots
Et c'est un peu pareil.
Eugène Guillevic
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.
Pour raconter son infortune
A la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.
Mais aucune réponse, aucune,
A ses longs appels anxieux !
Et, le cou tendu vers les cieux,
Folle d'amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.
A l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le noir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le coeur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dis
Ça noircit le blanc de l'oeil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vraie chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais là-haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
Jacques Prévert
Chevaux : trois ; oiseau : un 12 points B
J'ai
trois grands chevaux courant dans mon ciel.
J'ai un seul petit
oiseau, petit, dans mon champ.
Trois
chevaux de feu broutant les étoiles.
Un
oiseau petit qui vit d'air du temps.
Trois
chevaux perdus dans la galaxie.
Un
petit oiseau qui habite ici.
Les
chevaux du ciel, c'est un phénomène.
Mais
l'oiseau d'ici, c'est celui que j'aime.
Les
chevaux du ciel sont de vrais génies.
L'oiseau
dans mon champ, c'est lui mon ami.
Mais
l'oiseau du champ s'envole en plein ciel,
rejoint
mes chevaux, et je reste seul.
J'aimerais
bien avoir des ailes.
Ça
passerait le temps. Ça passerait le ciel.
Claude Roy
n° 2
Sagesse 8 points C
Le
ciel est, par‑dessus le toit,
Si bleu, si calme
Un
arbre, par‑dessus le toit,
Berce sa palme.
La
cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un
oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.
Mon
Dieu, Mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette
paisible rumeur là
Vient de la ville.
‑
Qu'as‑tu fait., ô toi que voilà,
Pleurant sans cesse,
Dis,
qu'as‑tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Paul Verlaine
n° 3
Les comédiens 12 points B
Les comédiens
On dit souvent
Ça vend du vent
À la sauvette
Ils vont
De scène en scène
et partent en tournée
Et dès qu'ils sont vêtus
Des habits qu'on leur prête
Ils deviennent Jésus
Harpagon ou Hamlet
Les comédiens
Disent les gens
Ont bien souvent
Des amourettes
À force de jouer
Ils se prennent au jeu
Sans être Roméo
On s'éprend de Juliette
Juste le temps qu'il faut
Pour en souffrir un peu
Les comédiens
Quand l'âge vient
Quittent la scène
Et quand il leur advient
De vivre de longs jours
Sur cour ou sur jardin
Tout seuls ils se souviennent
De ce fichu métier
Qu'ils ont aimé
D'amour
Jean‑Roger Caussimon
n° 4
Le vendeur de murmures 10 points B
Il était une fois
Le vendeur de murmures.
Il murmurait la nuit donc
à la demande
du bout des dents
en une étrange litanie
les phrases confiées la veille à son oreille
et dont il avait la prudence
professionnelle
d'inscrire les commandes
dans des carnets
toujours petits
et qu'il parfumait
tantôt à la lavande
tantôt au patchouli
C'est qu'il n'avait jamais voulu user lui
comme les
vendeurs de cris
de ces vastes camions d'amplification
qui sillonnaient le pays à grand renfort de klaxons
néons
haut‑parleurs et enseignes
ce qu'il vendait on l'entendait à peine
Philippe Garnier
n° 5
La chevauchée 8 points C
Certains,
quand ils sont en colère,
Crient,
trépignent, cassent des verres...
Moi,
je n'ai pas tous ces défauts :
Je
monte sur mes grands chevaux.
Et je
galope, et je voltige,
Bride
abattue, jusqu'au vertige
Des
étincelles sous leurs fers,
Mes
chevaux vont un train d'enfer.
Je
parcours ainsi l'univers,
Monts,
forêts, campagnes, déserts...
Quand
mes chevaux sont fatigués,
Je
rentre à l'écurie ‑ calmé.
Jacques Charpentreau
n° 6
Le soir indécis 8 points C
Le
soir vient entre chien et loup,
Ombre
parmi les ombres grises,
Entre
policier et filou,
Entre
mule et cheval de frise.
Il
arrive entre chèvre et chou,
Figue
et raisin, verre et carafe,
Entre
montagne et caoutchouc,
Le
soir, entre chêne et girafe.
Langue
de chien et dents de loup,
A
toutes pattes, à tire‑d'aile,
Se
mélangent dans le ciel flou
Chauves‑souris
et hirondelles.
Jacques Charpentreau
n° 7
Balançoire 8 points C
Quand
tu parles bien, tu me berces,
Et
je m'envole avec ta voix.
Les
étoiles à la renverse,
Je
m'élance au ciel, un, deux, trois !
Si
tu bégaies, je me balance
A
petits coups secs, cahoté,
Quand
tu déclames, la cadence
Me
fait descendre et remonter.
Tu
accélères ton effort,
Je
fais des bonds comme une chèvre.
Attention
! Ne crie pas trop fort
Je
suis suspendu à tes lèvres.
Jacques Charpentreau
n° 8
L'air en conserve 8 points C
Dans
une boîte, je rapporte
Un
peu de l'air de mes vacances
Que
j'ai enfermé par prudence.
Je
l'ouvre ! Fermez bien la porte
Respirez
à fond ! Quelle force !
La
campagne en ma boîte enclose
Nous
redonne l'odeur des roses,
Le
parfum puissant des écorces,
Les
arômes de la forêt...
Mais
couvrez‑vous bien, je vous prie,
Car
la boîte est presque finie :
C'est
que le fond de l'air est frais.
Jacques Charpentreau
n° 9
Les mouches 12 points B
Les mouches d'aujourd'hui
ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois
elles sont moins gaies
plus lourdes, plus majestueuses, plus graves
plus conscientes de leur rareté
elles se savent menacées de génocide
Dans mon enfance elles allaient se coller joyeusement
par centaines, par milliers peut‑être
sur du papier fait pour les tuer
elles allaient s'enfermer
par centaines, par milliers peut‑être
dans des bouteilles de forme spéciale
elles patinaient, piétinaient, trépassaient
par centaines, par milliers peut‑être
elles foisonnaient
elles vivaient
Maintenant elles surveillent leur démarche
les mouches d'aujourd'hui
ne sont plus les mêmes que les
mouches d'autrefois.
Raymond Queneau
n° 10
Le Loup et l'agneau 20 points A
La raison du plus fort est toujours la meilleure:
Nous l'allons montrer tout à
l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure
;
Un Loup survint à jeun,
qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux
attirait.
«Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage ;
Tu seras châtié de ta témérité.
‑ Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vais désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au‑dessous d'elle;
Et que par conséquent,
en aucune façon,
je ne puis troubler sa boisson.
‑ Tu la troubles, reprit cette bête cruelle ;
Et je sais que de moi tu médis
l'an passé.
- Comment l'aurais‑je fait si je n'étais pas né?
Reprit l'Agneau,
je tête encor ma mère.
-
Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
-
Je n'en ai point.
-
C'est donc quelqu'un des tiens
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit: il faut que je me
venge.»
Là‑dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Jean de La Fontaine
n° 11
Toujours et Jamais 14 points A
Toujours et Jamais étaient
toujours ensemble
ne se quittaient jamais. On
les rencontrait
dans toutes les foires.
On les voyait le soir
traverser le village
sur un tandem.
Toujours guidait
Jamais pédalait
C'est du moins ce qu'on
supposait...
Ils avaient tous les deux une
jolie casquette
L'une était noire à carreaux
blancs
L'autre blanche à carreaux
noirs
A cela on aurait pu les
reconnaître
Mais ils passaient toujours
le soir
et avec la vitesse...
Certains d'ailleurs les
soupçonnaient
Non sans raison peut‑être
D'échanger certains soirs
leur casquette
Une autre particularité
Aurait dû les distinguer
L'un disait toujours bonjour
L'autre toujours bonsoir
Mais on ne sut jamais
Si c'était Toujours qui
disait bonjour
Ou Jamais qui disait bonsoir
Car entre eux ils
s'appelaient toujours
Monsieur Albert Monsieur
Octave.
Paul Vincensini
n° 12
Dimanche 8 points C
Charlotte
Fait de la compote.
Bertrand
Suce des harengs.
Cunégonde
Se teint en blonde.
Epaminondas
Cire ses godasses.
Thérèse
Souffle sur la braise.
Léon
Peint des potirons.
Brigitte
S'agite, s'agite.
Adhémar
Dit qu'il en a marre.
La pendule
Fabrique des virgules.
Et moi dans tout cha?
Et moi dans tout cha?
Moi, ze ne bouze pas
Sur ma langue z'ai un chat.
Fait de la compote.
Bertrand
Suce des harengs.
Cunégonde
Se teint en blonde.
Epaminondas
Cire ses godasses.
Thérèse
Souffle sur la braise.
Léon
Peint des potirons.
Brigitte
S'agite, s'agite.
Adhémar
Dit qu'il en a marre.
La pendule
Fabrique des virgules.
Et moi dans tout cha?
Et moi dans tout cha?
Moi, ze ne bouze pas
Sur ma langue z'ai un chat.
René de Obaldia
n° 13
Ma maison 12 points B
Quand
j'ai chaussé les bottes
Qui
devaient m'amener à la ville
j'ai
mis dans ma poche
Une
vieille maison
Où
j'avais fait entrer
Une
jeune fille
Il
y avait déjà ma mère dans la cuisine
En
train de servir le saumon
Quatre
pieds carrés de soleil
Sur
le plancher lavé
Mon
père était à travailler
Ma
sœur à cueillir des framboises
Et
le voisin d'en face et celui d'en arrière
Qui
parlaient de beau temps
Sur
la clôture à quatre lisses
Et
de l'air propre autour de tout cela
Aussitôt
arrivé en ville
j'ai
sorti ma maison de ma poche
Et
c'était un harmonica
Gilles Vigneault
n° 14
Conseils donnés par une sorcière
(A voix basse, avec un air épouvanté,
à l'oreille du lecteur.)
8 points C
Retenez‑vous
de rire
dans
le petit matin !
N'écoutez
pas les arbres
qui
gardent les chemins
Ne
dites votre nom
à la
terre endormie
qu'après
minuit sonné
A
la neige, à la pluie
ne
tendez pas la main
N'ouvrez
votre fenêtre
qu'aux
petites planètes
que
vous connaissez bien
Confidence
pour confidence
vous
qui venez me consulter,
méfiance,
méfiance !
On
ne sait pas ce qui peut arriver.
Jean Tardieu
n° 15
L’ordinateur et l’éléphant 14 points A
Parce qu'il perdait la mémoire
Un ordinateur alla voir
Un éléphant de ses amis
-
C'est sûr, je vais perdre ma place,
Lui dit‑il, viens donc avec moi.
Puisque jamais ceux de ta race
N'oublient rien, tu me souffleras.
Pour la paie, on s'arrangera.
Ainsi firent les deux compères.
Mais l'éléphant était vantard
Voilà qu'il raconte ses guerres,
Le passage du Saint‑Bernard,
Hannibal et Jules César...
Les ingénieurs en font un drame
Ça n'était pas dans le programme
Et l'éléphant, l'ordinateur
Tous les deux, les voilà chômeurs.
De morale je ne vois guère
A cette histoire, je l'avoue.
Si vous en trouvez une, vous,
Portez‑la chez le Commissaire;
Au bout d'un an, elle est à vous
Si personne ne la réclame.
Jean Rousselot
n° 16
Je hais les haies
8 points C
Je hais les haies
Qui sont des murs.
Je hais les haies
Et les mûriers
Qui font la haie
Le long des murs.
Je hais les haies
Qui sont de houx.
Je hais les haies
Qu’elles soient de
mûres
Qu’elles soient de
houx !
Je hais les murs
Qu’ils soient en
dur
Qu’ils soient en
mou !
Je hais les haies
Qui nous emmurent.
Je hais les murs
Qui sont en nous.
Raymond Devos
n° 17
Liberté 12 points B
Sur
mes cahiers d'écolier
Sur
mon pupitre et les arbres
Sur
le sable sur la neige
J'écris
ton nom
Sur
toutes les pages lues
Sur
toutes les pages blanches
Pierre
sang papier ou cendre
J'écris
ton nom
Sur les images dorées
Sur
les armes des guerriers
Sur
la couronne des rois
J'écris
ton nom
Sur
la jungle et le désert
Sur
les nids sur les genêts
Sur
l'écho de mon enfance
J'écris
ton nom
Sur
les champs sur l'horizon
Sur
les ailes des oiseaux
Et
sur le moulin des ombres
J'écris
ton nom
Et
par le pouvoir d'un mot
Je
recommence ma vie
Je
suis né pour te connaître
Pour
te nommer
Liberté.
Paul Eluard
n° 18
Si... 10 points B
Si
la sardine avait des ailes,
Si
Gaston s'appelait Gisèle,
Si
l'on pleurait lorsque l'on rit,
Si
le pape habitait Paris,
Si
l'on mourait avant de naître,
Si
la porte était la fenêtre,
Si
l'agneau dévorait le loup,
Si
les Normands parlaient zoulou,
Si
la mer Noire était la Manche
Et
la mer Rouge la mer Blanche,
Si
le monde était à l'envers,
Je
marcherais les pieds en l'air,
Le
jour je garderais la chambre,
J'irais
à la plage en décembre,
Deux
et un ne feraient plus trois...
Quel
ennui ce monde à l'endroit!
Jean-Luc Moreau
n° 19
Dame la Lune 10 points B
Dame la Lune
Mange des prunes
Avec la peau
Et les noyaux.
Et C'est pourquoi
Quand on la voit,
Elle est si ronde,
La Lune blonde
Mais une nuit
Elle maigrit
Car la salade
La rend malade.
Et c'est pourquoi
Elle décroît
Et n'est plus ronde,
La Lune blonde
La demi‑Lune
Fait encore jeune
Et de moitié
Devient quartier.
Et c'est pourquoi
Elle décroît,
Et n'est plus ronde,
La Lune blonde !
Le quart de Lune
Mange des prunes
Avec la peau
Et les noyaux.
Et c'est pourquoi
La Lune croît
Et sera ronde
La dame blonde
Marcelle Vérité
n° 20
L'escargot matelot 8 points C
Un escargot fumant sa pipe
Portait sa maison sur son dos.
C'était un garçon sympathique,
Un brave et joyeux escargot.
Il avait été matelot
Et navigué sur un cargo.
Il en avait assez de l'eau
Cet ancien marin escargot.
Son ami le petit Léon
Lui apportait du tabac blond.
Et l'escargot fumant sa pipe
Évoquait la mer, les tropiques,
Et le tour du monde en cargo
Qu'il avait fait en escargot,
Un escargot fumant la pipe
Pour n'être pas mélancolique.
Claude Roy
n° 20bis
Les pommes de lune 8 points C
Entre
Mars et Jupiter
Flottait
une banderole
Messieurs
Mesdames
Faites
des affaires
Grande
vente réclame
De
pommes de terre
Un
cosmonaute qui passait par là
Fut
tellement surpris qu'il s'arrêta
Et
voulut mettre pied à terre
Mais
pas de terre en ce coin‑là
Et
de pommes de terre
Pas
l'ombre d'une
C'est
une blague sans doute
Dit‑il
en reprenant sa route
Et
à midi il se fit
Un
plat de pommes de lune.
Jean Rousselot
n° 21
Le silence est d'or 10 points B
«
Oui, le silence est d'or »,
Me
dit toujours maman.
Et
pourquoi pas alors,
En
fer ou en argent ?
Je
ne sais pas en quoi
Je
puis bien être faite :
Graine
de cacatois
M'appelle
la préfète.
D'accord !
Je suis bavarde.
Mais
est‑ce une raison
Pour
que l'on me brocarde
En
classe, à la maison,
Et
que l'on me répète
Et
me répète encor
A
me casser la tête
Que
le silence est d'or ?
Est‑ce,
ma faute à moi
Si
j'ai là dans la gorge,
Un
petit rouge‑gorge
Qui
gazouille de joie ?
Maurice Carême
n° 22
C'est tout un art d'être canard 10 points B
C'est tout un art d'être canard
C'est tout un art
d'être canard
canard marchant
canard nageant
canards au sol vont dandinant
canards sur l'eau vont naviguant
être canard
c'est absorbant
terre ou étang
c'est différent
canards au sol s'en vont en rang
canards sur l'eau, s'en vont ramant
être canard
ça prend du temps
c'est tout un art
c'est amusant
canards au sol vont cancanant
canards sur l'eau sont étonnants
il faut savoir
marcher, nager
courir, plonger
dans l'abreuvoir
canards le jour sont claironnants
canards le soir vont clopinant
canards aux champs
ou sur l'étang
c'est tout un art
d'être canard.
Claude Roy
n° 23
Impression fausse 12 points B
Dame souris trotte
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte,
Grise dans le noir.
On sonne la cloche :
Dormez les bons prisonniers,
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez
Pas de mauvais rêve :
Ne pensez qu'à vos amours
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !
Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté
Le grand clair de lune
En réalité !
Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four,
Un nuage passe,
Tiens le petit jour !
Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus,
Dame souris trotte,
Debout, paresseux !
Paul Verlaine
n° 24
Conciliabule 14 points A
Trois lapins, dans le
crépuscule,
Tenaient un long
conciliabule.
Le premier montrait une
étoile
Qui montait sur un champ
d'avoine.
Les autres, pattes sur les
yeux,
La regardaient d'un air
curieux.
Puis tous trois, tête contre
tête,
Se parlaient d'une voix
inquiète.
Se posaient‑ils, tout comme
nous,
Les mêmes questions sans
réponse ?
D'où venons‑nous ?
Où allons nous ?
Que sommes‑nous ?
Pourquoi ces ronces
Pourquoi dansons‑nous le
matin,
Parmi la rosée et le thym ?
Pourquoi avons‑nous le cul
blanc,
Longues oreilles, longues
dents ?
Pourquoi notre nez tout le
temps,
Tremble‑t‑il comme feuille au
vent ?
Pourquoi l'ombre d'un
laboureur
Nous fait‑elle toujours si
peur ?
Trois lapins dans le
crépuscule
Tenaient un long
conciliabule.
Et il aurait duré longtemps
Encore si une grenouille
N'avait plongé soudainement
Dans l'eau de lune de
l'étang.
Maurice Carême
n° 25
Iles 6 points C
Iles
Iles où l’on ne
prendra jamais terre
Iles où l’on ne
descendra jamais
Iles couvertes de
végétation
Iles tapies comme
des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables
et sans nom
Je lance mes
chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu’à vous
Blaise Cendrars
n° 26
Déménager 6 points
Quitter un
appartement. Vider les lieux.
Décamper. Faire
place nette. Débarrasser le plancher.
Inventorier,
ranger, classer, trier.
Éliminer, jeter,
fourguer.
Casser.
Brûler.
Descendre,
desceller, déclouer, décoller, dévisser, décrocher.
Débrancher,
détacher, couper, tirer, démonter, plier, couper.
Rouler.
Empaqueter,
emballer, sangler, nouer, empiler, rassembler, entasser, ficeler, envelopper,
protéger, recouvrir, entourer, serrer.
Enlever, porter,
soulever.
Balayer.
Fermer.
Partir.
Georges Perec
n° 27
Nuit dansante 10 points B
Quand
le hibou joue de la flûte,
Le
grillon sort son violon,
La
hulotte prend son luth
Et
le crapaud son basson.
Cela
se passe dans le Sud,
Non
loin du vieux pont d'Avignon,
Sur
le Rhône, c'est l'habitude
De
danser ainsi tous en rond.
Chats‑huants,
quels entrechats
Grand‑duc,
aimez‑vous le rock ?
Mais
qui sont donc ces petits rats ?
Des
surmulots. Ah! quelle époque!
Ainsi
danse‑t‑on dans les bois
Chaque
nuit jusqu'au chant du coq,
C'est
du moins ce que dit mon chat
natif
d'Uzès, en Languedoc.
Marc Alyn
n° 28
Dit des oiseaux 14 points A
Tirelire! Tirelire!
Dit l'alouette
Mais on ne l'a jamais vue mettre
Un sou de côté
Plus vite! Plus vite !
Dit le merle aux ouvriers
Mais lui passe son temps à enfiler des perles
De rosée
Je n'y crois pas, crois pas, crois pas
Dit le corbeau en secouant ses manches
Mais tout ce qu'il voit il le
mange
Faites que tout brille, brille
Ordonne la pie
Mais jusqu'au crépuscule
Elle jouit de la vie
Dans son fauteuil à bascule
Des couleurs j'ai, des couleurs j'ai!
Dit le geai.
Mais quand tu veux l'admirer
Il a déjà filé.
Dis‑moi tu, dis‑moi tu
Dît le moineau dodu
Mais dès que tu ouvres la bouche
Il s'effarouche
Et que dit le serin ?
On n'y comprend rien
C'est peut‑être du latin
Jean Rousselot
n° 29
Le relais 12 points B
En
voyage, on s'arrête, on descend de voiture ;
Puis
entre deux maisons on passe à l'aventure,
Des
chevaux, de la route et des fouets étourdi,
L'œil
fatigué de voir et le corps engourdi.
Et
voici tout à coup, silencieuse et verte,
Une
vallée humide et de lilas couverte,
Un
ruisseau qui murmure entre les peupliers,
Et
la route et le bruit sont bien vite oubliés !
On se couche dans l'herbe et l'on s'écoute
vivre,
De l'odeur du foin vert à loisir on s'enivre,
Et sans penser à rien on regarde les cieux.
Hélas une voix crie : « En voiture,
messieurs!»
Gérard de Nerval
n° 30
La cimaise et la
fraction 14 points A
La cimaise ayant
chaponné
Tout l'éternueur
Se tuba fort dépurative
Quand la bixacée fut verdie :
Pas un sexué pétrographique morio
De mouffette ou de verrat.
Elle alla crocher frange
Chez la fraction sa volcanique
La processionnant de lui primer
Quelque gramen pour succomber
Jusqu'à la salanque nucléaire.
« Je vous peinerai, lui discorda-t-elle,
Avant l'apanage, folâtrerie d'Annamite !
Interlocutoire et priodonte. "
La fraction n'est pas prévisible :
C'est là son moléculaire défi.
« Que ferriez-vous au tendon cher ?
Discorda-t-elle à cette énarthrose.
- Nuncupation et joyau à tout vendeur,
Je chaponnais, ne vous déploie.
-Vous chaponniez ? J'en suis fort alamante.
Eh bien ! débagoulez maintenant. »
Tout l'éternueur
Se tuba fort dépurative
Quand la bixacée fut verdie :
Pas un sexué pétrographique morio
De mouffette ou de verrat.
Elle alla crocher frange
Chez la fraction sa volcanique
La processionnant de lui primer
Quelque gramen pour succomber
Jusqu'à la salanque nucléaire.
« Je vous peinerai, lui discorda-t-elle,
Avant l'apanage, folâtrerie d'Annamite !
Interlocutoire et priodonte. "
La fraction n'est pas prévisible :
C'est là son moléculaire défi.
« Que ferriez-vous au tendon cher ?
Discorda-t-elle à cette énarthrose.
- Nuncupation et joyau à tout vendeur,
Je chaponnais, ne vous déploie.
-Vous chaponniez ? J'en suis fort alamante.
Eh bien ! débagoulez maintenant. »
Raymond Queneau
n° 31
Mon
général 8 points C
Mon général,
votre tank est si solide
Il couche une
forêt, il écrase cent hommes
Mais il a un
défaut : il a besoin d’un mécanicien.
Mon général,
votre bombardier est si puissant
Il vole plus vite
que l’éclair et transporte plus qu’un éléphant
Mais il a un
défaut : il a besoin d’un pilote.
Mon général,
l’homme est très utile
Il sait voler, il
sait tuer
Mais il a un
défaut : il sait penser.
Bertolt Brecht
n° 32
Les larmes du crocodile 8 points C
Si
vous passez au bord du Nil
Où
le délicat crocodile
Croque
en pleurant la tendre Odile,
Emportez
un mouchoir de fil.
Essuyez
les pleurs du reptile
Perlant
aux pointes de ses cils,
Et
consolez le crocodile :
C'est
un animal très civil.
Sur
les bords du Nil en exil,
Pourquoi
ce saurien pleure‑t‑il ?
C'est
qu'il a les larmes faciles
Le
crocodile qui croque Odile.
Jacques Charpentreau
n° 33
La lessive 8 points C
Chaque semaine, mes parents,
Cinq tantes, dix oncles, vingt nièces,
Cent cousins, des petits, des grands,
Se
pressent dans la même pièce.
Dans
la machine, ils introduisent
Mille
corsages et chemises,
Cent
mille slips et pyjamas,
Un
million de paires de draps.
Nylon,
dentelles ou guenilles,
Chaque
semaine nous avons
Cette
habitude : nous lavons
Notre
linge sale en famille.
Jacques Charpentreau
n° 34
La recherche 8 points C
Certains
la cherchent dans les airs
Parmi
les oiseaux des nuages,
D'autres
dans les fleurs du bocage
Ou
dans les algues de la mer.
Ils s'en vont la chercher en Chine,
Dans un temple ancien, à Pékin,
Dans les pages d'un vieux bouquin,
Dans les secrets d'une machine...
Pourquoi
remuer la planète ?
Moi,
comme je t'aime beaucoup,
Dans
les cheveux blonds de ton cou
Je
cherche la petite bête.
Jacques Charpentreau
n° 35
Le chat et le chant 8 points C
Sur
la scène de l'Opéra,
Autour
de la grande chanteuse,
Dansent
en rond les petits rats.
La
cantatrice est bien heureuse.
Elle
sait que rien ne viendra
Troubler
ses harmonieux arpèges,
Car
la danse des petits rats
Des
fausses notes la protège.
Elle
soulève à tour de bras
Sa
poitrine en soufflet de forge
Et
prête à lancer sur les rats
Le
chat qu'elle aurait dans la gorge.
Jacques Charpentreau
n° 36
La fuyante 8 points C
Vous
me croyez douce et soumise
Mais
malgré vos yeux grands ouverts, Moi, je vous échappe à ma guise
Et
je joue la fille de l'air.
Fille de l'air, enfant du songe,
Je pars au gré de mon caprice,
Sur une brise je m'allonge,
Dans un courant d'air je me glisse.
Quand
je suis lasse, je repose
Sur
un blanc coussin de nuage,
Avec
le parfum de la rose
Sur
l'aile du vent je voyage.
Jacques Charpentreau
n° 37
En voyage 8 points C
Quand
vous m’ennuyez, je m’éclipse,
Et,
loin de votre apocalypse,
Je
navigue, pour visiter
La
Mer de la Tranquillité.
Vous
tempêtez ? Je n’entends rien.
Sans
bruit, au fond du ciel je glisse.
Les
étoiles sont mes complices.
Je
mange un croissant. Je suis bien.
Vous
pouvez toujours vous fâcher,
Je
suis si loin de vos rancunes !
Inutile
de me chercher :
Je
suis encore dans la lune.
Jacques Charpentreau
n° 38
Au cirque 8 points C
Au
grand cirque de l'Univers,
On
voit sauter des trapézistes,
Des
clowns, des jongleurs, des artistes S'envoler à travers les airs.
L'écuyère
sur ses chevaux
Passe
du noir au brun, au blanc,
Le
funambule, sans élan,
Droit
sur son fil, saute là‑haut.
Tout
saute à s'en rompre le crâne
Les
lions sur des tambours dorés,
Les
tigres sur des tabourets...
Moi,
je saute du coq à l'âne.
Jacques Charpentreau
n° 39
Diable ! 8 points C
Tirer le diable par la queue
Au fond d'une pauvre banlieue,
C'est courir sans aucun repos,
N'avoir que les os sur la peau,
Au
charivari du ménage,
Dîner
d'un pain et d'un fromage,
Voir
s'en aller tables et chaises,
Les
fauteuils filer à l'anglaise.
Il
griffe, il mord, il nous entraîne
Au
feu d'enfer de la déveine,
Plus
dangereux que Barbe Bleue,
Le
diable tiré par la queue.
Jacques Charpentreau
n° 40
Les beaux métiers 8 points C
Certains veulent être marins,
D'autres ramasseurs de bruyère,
Explorateurs de souterrains,
Perceurs de trous dans le gruyère,
Cosmonautes, ou, pourquoi pas,
Goûteurs
de tartes à la crème,
De
chocolat et de babas :
Les
beaux métiers sont ceux qu'on aime.
L'un veut nourrir un petit faon,
Apprendre aux singes l'orthographe,
Un autre bercer l'éléphant...
Moi, je veux peigner la girafe !
Jacques Charpentreau
n° 41
L'île des rêves 8 points C
Il
a mis le veston du père,
Les
chaussures de la maman
Et
le pantalon du grand frère
Il
nage dans ses vêtements.
Il
nage, il nage à perdre haleine.
Il
croise des poissons volants,
Des
thons, des dauphins, des baleines...
Que
de monde, dans l'océan!
Écume
blanche et coquillages,
Il
nage depuis si longtemps
Qu'il
aborde enfin au rivage
Du
pays des rêves d'enfants.
Jacques Charpentreau
n° 42
Le lutin horloger 8 points C
Il
court, il court, sa montre en main,
Par
les rues et par les chemins !
Mais
qu'est‑il en train de chercher
De
l'hôtel de ville au clocher ?
Il retourne les sabliers,
Il inspecte les balanciers.
Quartz ou ressort, vite il déloge
L'oiseau caché dans votre horloge
Tic‑tac, il avance, il recule
Les aiguilles de la pendule.
Il court, de demeure en demeure,
Chercher midi à quatorze heures.
Jacques Charpentreau
n° 43
La clé des champs 8 points C
On
a perdu la clé des champs!
Les
arbres, libres, se promènent,
Le
chêne marche en trébuchant,
Le
sapin boit à la fontaine.
Les
buissons jouent à chat perché,
Les
vaches dans les airs s'envolent,
La
rivière monte au clocher
Et
les collines cabriolent.
J'ai
retrouvé la clé des champs
Volée
par la pie qui jacasse.
Et
ce soir au soleil couchant
J'aurai
tout remis à sa place.
Jacques Charpentreau
n° 44
Le Corbeau et le Renard 14 points A
Maître
Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l'odeur
alléché,
Lui tint à peu près ce
langage :
«Hé! bonjour, monsieur du
Corbeau.
Que vous êtes joli! que vous
me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes
de ces bois. »
A ces mots le Corbeau ne se
sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle
voix,
Il ouvre un large bec, laisse
tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit :
«Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui
l'écoute :
Cette leçon vaut bien un
fromage, sans doute.»
Le Corbeau, honteux et
confus,
Jura,
mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
Jean de La Fontaine
n° 45
Le Lion et le Rat 14 points A
Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde : On a
souvent besoin d'un plus petit que soi.
De
cette vérité deux fables feront foi ;
Tant
la chose en preuves abonde.
Entre
les pattes d'un Lion
Un
Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le
roi des animaux, en cette occasion,
Montra
ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce
bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un
aurait‑il jamais cru
Qu'un
lion d'un rat eût affaire ?
Cependant
il advint qu'au sortir des forêts
Ce
Lion fut pris dans des rets,
Dont
ses rugissements ne le purent défaire.
Sire
Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une
maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Jean de La Fontaine
n° 46
La Cigale et la Fourmi 12 points B
La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
«Je vous paierai, lui dit‑elle,
Avant l'oût, foi d'animal,
Intérêt et principal.»
La Fourmi n'est pas prêteuse
;
C'est là son moindre défaut.
«Que faisiez‑vous au temps
chaud ?
Dit‑elle à cette emprunteuse.
-
Nuit et jour à
tout venant je chantais, ne vous déplaise.
-
Vous chantiez ?
j'en suis fort aise :
Eh bien! dansez maintenant.»
Jean de La Fontaine
n° 47
La fourmi et la cigale 12 points B
La fourmi ayant stocké
Tout l’hiver
Se trouva fort encombrée
Quand le soleil fut venu :
Qui lui prendrait ses
morceaux
De mouches ou de
vermisseaux ?
Elle tenta de démarcher
Chez la cigale, sa voisine,
La poussant à s’acheter
Quelques grains pour
subsister
Jusqu’à la saison prochaine.
« Vous me paierez, lui
dit-elle,
Après l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La cigale n’est pas
gourmande :
C’est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps
froid ?
Dit-elle à cette amasseuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je stockais, ne vous
déplaise.
- Vous stockiez ? j’en
suis fort aise ;
Et bien soldez
maintenant. »
Françoise Sagan
n° 48
Pour faire le portrait d'un oiseau
24 points A
Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger ...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
Jacques Prévert
n° 49
Le hareng saur
18 points A
Il était un grand mur blanc
- nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle-
haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng
saur - sec, sec, sec.
Il vient, tenant dans ses
mains - sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand
clou - pointu, pointu, pointu
Un peloton de ficelle -
gros, gros, gros.
Alors il monte à l'échelle -
haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu -
toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur
blanc - nu, nu, nu.
Il laisse aller le marteau -
qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle -
longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur
- sec, sec, sec.
Il redescend de l'échelle -
haute, haute, haute,
L’emporte avec le marteau -
lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s'en va ailleurs
- loin, loin, loin.
Et, depuis, le hareng saur -
sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle -
longue, longue, longue,
Très lentement se balance -
toujours, toujours, toujours.
J'ai composé cette histoire
- simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les
gens - graves, graves, graves,
Et amuser les enfants -
petits, petits, petits.
Charles Cros
n° 50
Chanson de la Seine 6 points C
La
Seine a de la chance
elle
n'a pas de soucis
elle
se la coule douce
le
jour comme la nuit
et
elle sort de sa source
tout
doucement sans bruit
et
sans faire de mousse
sans
sortir de son lit
elle
s'en va vers la mer
en
passant par Paris
Jacques Prévert
n° 51
Les animaux du zodiaque 10 points B
Quand
ils ont quitté les baraques
Du
soleil, leur patient berger,
Les
animaux du zodiaque
Vont
boire dans la voie lactée.
Puis
ils s'égaillent dans les prés
Du
ciel plein des graminées pâles
En
croquant parfois une étoile
Qui
éclate en grains de clarté.
Il
arrive aussi que la Vierge
Leur
tende en riant son épi
Et
leur montre, ourlé de lumière,
Le
grand portail du paradis.
Mais
dès que le fouet de l'aurore
S'en
vient claquer au-dessus d'eux,
Bélier,
Taureau et Capricorne
Font
tourner la roue d'or des cieux.
Maurice Carême
n° 52
Le cheval 8 points C
Et
le cheval longea ma page.
Il
était seul, sans cavalier,
Mais
je venais de dessiner
Une
mer immense et sa plage.
Comment
aurais-je pu savoir
D'où
il venait, où il allait ?
Il était grand, il
était noir,
Il
ombrait ce que j'écrivais.
J'aurais
pourtant dû deviner
Qu'il
ne fallait pas l'appeler.
Il
tourna lentement la tête
Et,
comme s'il avait eu peur
Que
je lise en son coeur de bête,
Il
redevint simple blancheur.
Maurice Carême
n° 53
L'oiseau bleu 10 points B
Mon
oiseau bleu a le ventre tout bleu
Sa
tête est d'un vert mordoré
Il
a une tache noire sous la gorge
Ses
ailes sont bleues
avec
des touffes de petites plumes jaune doré
Au
bout de la queue il y a
des
traces de vermillon
Son
dos est zébré de noir et de vert
Il
a le bec noir les pattes incarnat
et
deux petits yeux de jais
Il
adore faire trempette,
se
nourrit de bananes et pousse
Un
cri qui ressemble au sifflement
d'un
tout petit jet de vapeur.
On
le nomme le septicolore.
Blaise Cendrars
n° 54
Les trois noisettes 10 points B
Trois
noisettes dans le bois
Tout
au bout d'une brindille
Dansaient
la capucine vivement au vent
En
virant ainsi que filles
De
roi.
Un
escargot vint à passer :
"Mon
beau monsieur, emmenez-moi
Dans
votre carrosse,
Je
serai votre fiancée"
Disaient-elles
toutes trois.
Mais
le vieux sire sourd et fatigué,
Le
sire aux quatre cornes sous les feuilles
Ne
s'est point arrêté,
Et,
c'est l'ogre de la forêt, je crois,
C'est
le jeune ogre rouge, gourmand et fûté,
Monseigneur
l'écureuil,
Qui
les a croquées
Tristan Klingsor
n° 55
Les perles de rose
8 points C
Si
tu veux inventer un collier,
Tiens,
voici comment procéder.
De
bon matin, te réveiller,
Dans
les rosiers, te promener.
Tu
verras des perles de rosée,
Sur
les roses elles sont accrochées.
Une
bonne poignée tu cueilleras,
Dans
une boîte tu les rangeras.
Un
cheveu d'or pour les assembler,
Un
tout petit nœud pas trop serré,
Ainsi
tu auras un joli collier,
Aussi
souple que celui d'une fée.
Gilbert Saint-Pré
n° 56
Ulysse 8
points C
-
Ulysse, Ulysse, arrête-toi,
Écoute
la voix des sirènes
Plonge,
va trouver notre reine,
Dans
son palais, deviens le roi
Mais
Ulysse préfère au toit
Des
vagues celui des nuages,
Dans
la direction d'Ithaque
Son
regard reste fixé droit
Et
les filles aux longs cheveux
Ont
beau nager dans son sillage,
Il
demeure sourd, il ne veut
Que
la chanson, que le visage
Conservé
au fond de ses yeux,
De
Pénélope toujours sage.
Louis Guillaume
n° 57
Météorologie 10 points B
L'oiseau
vêtu de noir et vert
m'a
apporté un papier vert
qui
prévoit le temps qu'il va faire.
Le
printemps a de belles manières.
L'oiseau
vêtu de noir et de blond
m'a
apporté un papier blond
qui
fait bourdonner les frelons.
L'été
sera brûlant et long.
L'oiseau
vêtu de noir et et jaune
m'a
apporté un papier jaune
qui
sent la forêt en automne.
L'oiseau
vêtu de noir et blanc
m'a
apporté un flocon blanc.
L'oiseau
du temps que m'apportera-t-il ?
Claude Roy
n° 58
L'enfant qui battait la campagne
10 points B
Vous me copierez deux cents fois le verbe:
Je n'écoute pas. Je bats la campagne.
Je bats la campagne, tu bats la campagne,
Il bat la campagne à coups de bâton.
La
campagne ? Pourquoi la battre ?
Elle
ne m'a jamais rien fait.
C'est
ma seule amie, la campagne,
Je
baye aux corneilles, je cours la campagne.
Il
ne faut jamais battre la campagne :
on
pourrait casser un nid et ses oeufs.
On
pourrait briser un iris, une herbe,
On
pourrait fêler le cristal de l'eau.
Je
n'écouterai pas la leçon.
Je
ne battrai pas la campagne.
Claude Roy
n° 59
Le cosmonaute
et son hôte 12 points B
Sur une planète inconnue,
un cosmonaute rencontra
un étrange animal;
il avait le poil ras,
une tête trois fois cornue,
trois yeux, trois pattes et trois bras !
« Est‑il vilain! pensa le cosmonaute
en s'approchant prudemment de son hôte.
Son teint a la couleur d'une vieille échalote,
son nez a l'air d'une carotte.
Est‑ce un ruminant? Un rongeur? »
Soudain, une vive rougeur
colora plus encor le visage tricorne.
Une surprise sans bornes
fit chavirer ses trois yeux.
<< Quoi! Rêvé‑je? dit‑il. D'où nous vient, justes
cieux,
ce personnage si bizarre sans crier gare !
Il n'a que deux mains et deux pieds,
il n'est pas tout à fait entier.
Regardez comme. il a l'air bête,
il n'a que deux yeux dans la tête !
Sans cornes, comme il a l'air sot ! »
C'était du voyageur arrivé de la Terre
que parlait l'être planétaire.
Se croyant seul parfait et digne du pinceau,
il trouvait au Terrien un bien vilain museau.
Nous croyons trop souvent que, seule, notre tête
est de toutes la plus parfaite!
Pierre Gamarra
n° 60
Mon petit lapin 6 points C
Mon petit lapin
N'a plus de chagrin
Depuis le matin,
Il fait de grands sauts au fond du jardin.
Mon
petit lapin
N'a
plus de chagrin
Il
parle aux oiseaux
Et
il rit tout haut
Dans
l'ache et le thym
Mon
petit lapin
N'a
plus de chagrin
Le
voisin d'en face
A
vendu ses chiens,
Ses
trois chiens de chasse.
Maurice Carême
n° 61
Terre-Lune 8 points C
Terre
Lune, Terre Lune
Ce
soir j'ai mis mes ailes d'or
Dans
le ciel comme un météore
Je
pars
Terre
Lune, Terre Lune
J'ai
quitté ma vieille atmosphère
J'ai
laissé les morts et les guerres
Au
revoir
Dans
le ciel piqué de planètes
Tout
seul sur une lune vide
Je
rirai du monde stupide
Et
des hommes qui font les bêtes
Terre
Lune, Terre Lune
Adieu
ma ville, adieu mon cœur
Globe
tout perclus de douleurs
Bonsoir.
Boris Vian
n° 62
Le pélican 8
points C
Le
capitaine Jonathan,
Etant
âgé de dix-huit ans,
Capture
un jour un pélican
Dans
une île d'Extrême-Orient.
Le
pélican de Jonathan,
Au
matin, pond un oeuf tout blanc
Et
il en sort un pélican
Lui
ressemblant étonnamment.
Et
ce deuxième pélican
Pond,
à son tour, un oeuf tout blanc
D'ou
sort, inévitablement,
Un
autre qui en fait autant.
Cela
peut durer très longtemps
Si
l'on ne fait pas d'omelette avant.
Robert Desnos
n° 63
C'est la Toussaint 10 points B
C'est la Toussaint
Le ciel est gris comme demain
Et lourd comme les chrysanthèmes.
Le vent
Rougit le nez des gens
Glace leurs pieds
Glace leurs mains:
C'est la Toussaint.
Des feuilles mortes
Que la brise emporte
Bouchent les portes.
Dans les maisons
le feu chante
A son diapason
Sa chanson.
Mais le froid
entre quand même
Par les fentes des croisées :
Il faut geler.
Alors
Dedans comme dehors
le froid mord.
Et les gens moroses
Se plaignent des choses
De l'hiver qui vient:
C'est la Toussaint...
Clod'Aria
n° 64
Clown 12 points B
Je suis le vieux Tourneboule
Ma main est bleue d'avoir gratté le ciel
Je suis Barnum je fais des tours
Assis sur le trapèze qui voltige
Aux petits, je raconte des histoires
Qui dansent au fond de leurs prunelles
Si vous savez vous servir de vos mains
Vous attrapez la lune
Ce n'est pas vrai qu'on ne peut pas la prendre
Moi je conduis des rivières
j'ouvre les doigts elles coulent à travers
Dans la nuit
Et tous les oiseaux viennent y boire
sans bruit
Les parents redoutent ma présence
Mais les enfants s'échappent le soir
Pour venir me voir
Et mon grand nez de buveur d'étoiles
Luit comme un miroir.
Werner Renfer
La Fenêtre 12 points B
Pour les autres, pour les passants,
tu es simplement la fenêtre.
Pour moi qui t'aime du dedans
tu es ma plus profonde fête.
Celle qui accroît le regard
et limite chaque nuage,
la gardienne du paysage
où je viens me perdre le soir.
J'ai le monde sous mes paupières
mon front à ta vitre appuyé
et tu es glissante lisière
sur le bord de l'illimité.
Reste ma sœur très patiente,
fais-moi l'aumône d'un oiseau,
redis-moi les paroles lentes
de cet horizon sans défaut.
Et posée entre ciel et terre
sois ce chemin aérien
près duquel doucement je viens
apaiser ma faim de lumière.
Anne-Marie Kegels
n° 66
Divertissement 10 points B
Trois
musiciens dans une clairière
Jouent
au milieu des ronciers rouillés
Pour
les passants nocturnes qui errent
Sans
parvenir à s'ensommeiller.
Ils
célèbrent d'infimes offrandes
A
l'adresse des germes éclos,
Ou
des fougères qui se détendent,
Ou
du vol vespéral des corbeaux.
Trois
musiciens dans une clairière
En
habit de velours, avec des violons,
Enseignent
la cérémonie
Des
instants de grâce de la terre
Non
par des mots chargés de passion,
Mais
la vraie musique de fête de la vie.
Patrice de la Tour du Pin
n° 67
Le cerf-volant 10 points B
Soulevé
par les vents
Jusqu'aux
plus haut des cieux,
Un
cerf-volant plein de superbe
Vit,
qui dansait au ras de l'herbe,
Un
petit papillon, tout vif et tout joyeux.
-
Holà ! minable animalcule,
cria
du zénith l'orgueilleux,
Ne
crains-tu pas le ridicule ?
Pour
te voir, il faut de bons yeux
Tu
rampes comme un ver...
Moi
je grimpe je grimpe
Jusqu'à
l'Olympe,
Séjour
des dieux.
-
C'est vrai, dit l'autre avec souplesse,
Mais
moi, libre, à mon gré,
je
peux voler partout,
Tandis
que toi, pauvre toutou,
Un
enfant te promène en laisse.
Jean-Luc Moreau
n° 68
La leçon de choses 8 points C
Venez poussins
Asseyez-vous
Je vais vous instruire
Sur l'œuf
Dont tous
Vous venez, poussins.
L'oeuf est rond
Mais pas tout à fait
Il serait plutôt
ovoïde
avec une carapace
et vous en venez tous, poussins
Il est blanc
pour votre race
crème ou même orangé
avec parfois collé
un brin de paille
mais ça
c'est un supplément
A l'intérieur il y a
Mais pour y voir
il faut le casser
et alors d'où -vous, poussins - sortiriez ?
Raymond Queneau
n° 69
Une graine voyageait 8 points C
Une
graine voyageait
toute
seule pour voir le pays.
Elle
jugeait les hommes et les choses.
Un
jour elle trouva
joli
le vallon
et
agréables quelques cabanes.
Elle
s'est endormie.
Pendant
qu'elle rêvait
elle
est devenue brindille
et
la brindille a grandi,
puis
elle s'est couverte de bourgeons.
Les
bourgeons ont donné des branches.
Tu
vois ce chêne puissant
c'est
lui, si beau, si majestueux,
cette
graine,
Oui
mais le chêne ne peut pas voyager.
Alain Bosquet
n° 70
L'oiseau du Colorado 10 points B
L'oiseau
du Colorado
Mange
du miel et des gâteaux
Du
chocolat et des mandarines
Des
dragées des nougatines
Des
framboises des roudoudous
De
la glace et du caramel mou.
L'oiseau
du Colorado
Boit
du champagne et du sirop
Suc
de fraise et lait d'autruche
Jus
d'ananas glacé en cruche
Sang
de pêche et navet
Whisky
menthe et café.
L'oiseau
du Colorado
Dans
un grand lit fait dodo
Puis
il s'envole dans les nuages
Pour
regarder les images
Et
jouer un bon moment
Avec
la pluie et le beau temps.
Robert Desnos
n° 71
J’ai vu… 12 points B
J'ai appelé le terrassier
il marchait à cloche-pied
j'ai appelé le moissonneur
il jurait comme un voleur
j'ai appelé le cordonnier
il jetait tous ses souliers
alors je m'en suis allée
j'ai vu des hannetons
tâtonnant en rond
j'ai vu des limaces
faire la grimace
j'ai vu une libellule
très crédule
puis me penchant encore
j'ai vu un chou-fleur
chercher l'heure
j'ai vu un artichaut
qui rêvait d'être au chaud
chemin faisant
j'ai vu un lampadaire
le nez en l'air
j'ai vu un vélo
près de l'eau
j'ai vu un canard
en retard
j'ai vu un lapin
jouer au crincrin
puis j'ai vu des gens
mécontents
car ils ne voyaient rien
Huguette Amundsen
n° 72
Le premier vol de l’hirondelle
8 points C
Mes
ciseaux à peine aiguisés
Coupent
le ciel qui se déplace.
Une
brasse. Encore une brasse.
Dans
l’ouverture de la nasse
-
Bon hirondeau chasse de race -
Un
moustique s’est enfourné.
Ce
petit nid où je suis né
Comme
il s’éloigne dans l’espace !
A
tire-ligne d’hirondelle
C’est
un nom nouveau que j’écris
Et
je l’écris à tire-d’aile
Et
je l’écris à tire-cri
Pierre Menanteau
n° 73
Les corridors où dort Anne qu'on adore 10 points B
La petite Anne, quand elle dort,
Où s'en va-t-elle ?
Est-elle dedans, est-elle dehors,
Et que fait-elle ?
Pendant
la récré du sommeil,
A
pas de loup,
Entre
la Terre et le soleil,
Anne
est partout.
Les
pieds nus et à tire-d'aile
Anne
va faire
Les
quatre cent coups dans le ciel
Anne
s'affaire.
La
petite Anne, quand elle dort,
Qui
donc est-elle ?
Qui
dort ? Qui court par-dessus bord ?
Une
autre, et elle.
L'autre
dort et a des ailes,
Anne
dans son lit, Anne dans le ciel.
Claude Roy
n° 74
Le petit grillon 10 points B
Le petit grillon qui garde la
montagne
A bien du mérite croyez-moi
Quand de partout
Coucous et hiboux font ou
Coucou coucou
ou ouh ouh ouh ouh
A d’autres coucous
ou d’autres hiboux
qui font à tout coup
ou coucou coucou
ou ouh ouh ouh ouh
Toute toute toute la nuit
Le petit grillon vaillant
a bien du mérite
Et qu’est-ce qui le retient
Dites-le moi
Messieurs
De se croiser les bras
et de dormir longtemps
Sa tête
Entre ses deux yeux.
Paul Vincensini
n° 75
Cavalcade 8 points C
Un
cheval de lune
Courait
sur le sable
Un
poulain d'écume
Trottait
sur la grève,
Au
trot, au trot, au galop.
Un
cheval d'ivoire
Courait
dans le soir,
Un
cavalier rouge
Traversait
l'automne,
Au
trot, au trot, au galop.
Un cheval
de pluie
Courait
dans la nuit
Un
coursier de verre
Labourait
la mer,
Au
trot, au trot, au galop.
Et
tous les enfants
Poursuivaient
en rêve
Toutes
ces crinières
Libres
dans le vent,
Au
trot, au trot, au galop.
Louis Guillaume
n° 76
Le coq 8 points C
Je
vais fabriquer un coq de clocher,
Il
sera tout noir au soleil couché,
Il
sera tout blanc au soleil levant
Et
d'argent brillant à midi tapant.
Vous
ai-je assez dit que je vous aimais!
Mon
coq de clocher ne parle jamais.
A
Londres, Paris, vous ai-je attendue!
Lui,
ne commet pas la moindre bévue.
J'ai
perdu le Nord, il me le rendra,
Nous
irons ensemble où ça nous plaira.
Henri Thomas
n° 77
Une poule sur un mur 8 points C
Une
poule sur un mur
A
pondu quatorze oeufs frais
Mais
pendant qu'elle pondait,
Le
soleil d'août les cuisait.
Un
poule sur un mur
A
couvé quatorze oeufs durs.
Il
en sortit des poulets
Aussi
durs que des galets.
C'est
depuis lors que l'on voit
Folle
encor de désarroi,
Une
poule sur un mur
Qui
picote du pain dur.
C'est
depuis lors que l'on voit
Picoti
et picota
Une
poule qui cent fois
Grimpe
au mur et saute en bas.
Maurice Carême
n° 78
Sonnet du chat 8 points C
Le
chat lutte avec une abeille
autour
de sa fourrure,
je
vois l'azur de ses merveilles,
un
arbre, une mâture.
La
mer apporte à mon oreille
le
bruit des aventures
que
nous vivons si tu t'éveilles
témérité
future.
Je
me consacre aux vertes îles,
favorables
au sage
qui
sait trouver un dieu tranquille
entre
palme et rivage.
Le
chat s'en va, brillant et beau,
pour
guetter les oiseaux.
Henri Thomas
n° 79
Déjeuner du matin 14 points A
Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuiller
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s’est levé
Il a mis
Son chapeau sur la tête
Il a mis son manteau de pluie
Parce qu’il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j’ai pris
Ma tête dans ma main
Et j’ai pleuré.
Jacques Prévert
n° 80
L’oiseau voyou 10 points B
Le chat qui marche l’air de
rien
voulait se mettre sous la
dent
l’oiseau qui vit de l’air du
temps
oiseau voyou oiseau vaurien
Mais plus futé l’oiseau
lanlaire
n’a pas sa langue dans sa
poche
et siffle clair comme eau de
roche
un petit air entre deux airs.
Un petit air pour changer
d’air
et s’en aller voir du pays
un petit air qu’il a appris
à force de voler en l’air
Faisant celui qui n’a pas
l’air
le chat prend l’air
indifférent.
L’oiseau s’estime bien
content
et se déguise en courant
d’air.
Claude Roy
n° 81
Chanson pour les enfants de l’hiver
12 points B
Dans
la nuit de l’hiver
galope
un grand homme blanc
C’est
un bonhomme de neige
avec
une pipe en bois
un
grand bonhomme de neige
poursuivi
par le froid
Il
arrive au village
voyant
de la lumière
le
voilà rassuré
Dans
une petite maison
il
entre sans frapper
et
pour se réchauffer
s’asseoit
sur le poêle rouge
et
d’un coup disparaît
ne
laissant que sa pipe
au
milieu d’une flaque d’eau
ne
laissant que sa pipe
et
puis son vieux chapeau.
Jacques Prévert
n° 82
L’albatros 18 points A
Souvent, pour s’amuser, les
hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes
oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents
compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les
gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés
sur les planches,
Que ces rois de l’azur,
maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs
grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à
côté d’eux.
Ce
voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il
est comique et laid !
L’un agace son bec avec un
brûle-gueule,
L’autre mime, en boîtant,
l’infirme qui volait !
Le poète est semblable au
prince des nuées
Qui hante la tempête et se
rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu
des huées,
Ses ailes de géant
l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire
n° 83
Avant-printemps 6 points C
Des oeufs dans la haie
Fleurit l’aubépin
Voici le retour
Des marchands forains.
Et qu’un gai soleil
Pailleté d’or fin
Eveille les bois
Du pays voisin !
Est-ce le printemps
Qui cherche son nid
Sur la haute branche
Où niche la pie ?
C’est mon coeur marqué
Par d’anciennes pluies
Et ce lent cortège
D’aubes qui le suit.
René-Guy Cadou
n° 84
A vol d’oiseau 8 points C
Où va-t-il, l’oiseau sur la
mer ?
Il vole, il vole...
A-t-il au moins une boussole
?
Si un coup de vent
Lui rabat les ailes,
Il tombera dans l’eau
Et ne sait pas nager.
Et que va-t-il manger?
Et si ses forces
l’abandonnent,
Qui le secourra ? Personne.
Pourvu qu’il aperçoive à
temps
Une petite crique !
C’est tellement loin,
l’Amérique...
Michel Luneau
n° 85
La clef des champs 12 points B
Qui a volé la clef des champs ?
La pie voleuse ou le geai bleu ?
Qui a perdu la clef des champs ?
La marmotte ou le hoche-queue ?
Qui a trouvé la clef des champs ?
Le lièvre vert ? Le renard roux ?
Qui a gardé la clef des champs ?
Le chat, la belette ou le loup ?
Qui a rangé la clef des champs ?
La couleuvre ou le hérisson ?
Qui a paumé la clef des champs ?
La musaraigne ou le pinson ?
Qui a mangé la clef des champs ?
Ce n’est pas moi. Ce n’est pas vous.
Elle est à personne et partout,
La clé des champs, la clef de tout.
Claude Roy
n° 86
La licorne
10 points B
La licorne ne peut être capturée
qu’entre les genoux d’une demoiselle
son oeil est une pierre précieuse
qu’on nomme escarboucle et qui est tendre
L’escarboucle est une
pierre précieuse tendre et rare
dans l’oeil de la licorne d’où tombe une larme
qui mouille la robe de la demoiselle
qui vient de l’emprisonner
Cela se passe dans un pré
au milieu du Moyen Age
les nuages sont des coussins
d’où descendent des épées d’or
ce sont les regards du soleil qui regarde
la capture de la licorne.
Jacques Roubaud
n° 87
La môme néant 6 points C
Quoi qu’a dit ?
- A dit rin.
Quoi qu’a fait ?
- A fait rin.
A quoi qu’a pense ?
- A pense à rin.
Pourquoi qu’a dit rin ?
Pourquoi qu’a fait rin ?
Pourquoi qu’a pense à rin ?
- A’xiste pas.
Jean Tardieu
n° 88
Le chou 10 points B
Un chou se prenant pour un chat
léchant son museau moustachu,
sa bedaine de pacha,
à ses feuilles s’arracha,
pour prouver que sous son poncho
couleur d’artichaut,
son pelage était doux et chaud,
sa queue de soie, sa robe blanche.
En miaulant à belle voix,
le chou se percha sur un toit,
puis dansa le chachacha
de branche en branche.
Or, le chou n’était pas un chat
aux pattes de caoutchouc,
sur la ramure il trébucha
et c’est ainsi que le chou chût
fâcheusement et cacha
sa piteuse mésaventure
dans un gros tas d’épluchures.
Charles Dobzynski
n° 89
Le dilemme
6 points C
J’ai vu des barreaux
je m’y suis heurté
c’était l’esprit pur.
J’ai vu des poireaux
je les ai mangés
c’était la nature.
Pas plus avancé !
Toujours des barreaux
toujours des poireaux !
Ah ! si je pouvais
laisser les poireaux
derrière les barreaux
la clé sous la porte
et partir ailleurs
parler d’autre chose !
Jean Tardieu
n° 90
Le coeur trop petit 12 points B
Quand je serai grand
Dit le petit vent
J’abattrai
La forêt
Et donnerai du bois
A tous ceux qui ont froid.
Quand je serai grand
Dit le petit vent
Je nourrirai tous ceux
Qui ont le ventre creux.
Là-dessus s’en vient
La petite pluie
Qui n’a l’air de rien
Abattre le vent
Détremper le pain
Et tout comme avant
Les pauvres ont froid
Les pauvres ont faim.
Mais mon histoire
N’est pas à croire :
Si le pain manque et s’il fait froid sur terre
Ce n’est pas la faute à la pluie
Mais à l’homme, ce dromadaire
Qu’à le coeur beaucoup trop petit.
Jean Rousselot
n° 91
Le rat 8 points C
Un rat d’eau
va
d’un radeau
bas
au ras dos
pouah !
d’un boa.
Le rat bat,
beau
à Rabat
l’eau
et rabat
oh !
son chapeau
Le rat beau
a
un rabot
d’bois,
d’or à beau
poids
oh là là !
Le rat, gars,
aux
airs Agha
sots
d’un raga
faux
fait cadeau !
Christian Laucou
n° 92
Le roi lion
8 points C
Faut pas confondre les bestiaux
avec les petites bestioles
ça irrite le campagnol
quand on le prend pour un taureau
Faut pas confondre les zoziaux
avec les personnes avicoles
ça rend la perruche folle
quand on l’assimile au corbeau
Mais le li-on le Roi li-on
ne craint pas ces confusions
De sa rugissante crinière
il éparpille les éléphants
pour la grande joie des enfants
de la Metro-Goldwyn-Mayer.
Jacques Roubaud
n° 93
Le globe 10 points B
Offrons le globe aux enfants, au moins pour une
journée.
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon
multicolore
Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur
faim.
Offrons le globe aux enfants,
Qu’une journée au moins le globe apprenne la
camaraderie,
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.
Nazim Hikmet
n° 94
Le Laboureur et ses enfants 14 points ATravaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût.
Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
Jean de La Fontaine
n° 95
Les Djinns 50 points A+A+A
Murs,
villes,
Et
port,
Asile
De
mort,
Mer
grise
Où
brise
La
brise,
Tout
dort.
Dans
la plaine
Naît
un bruit.
C’est
l’haleine
De
la nuit.
Elle
brame
Comme
une âme
Qu’une
flamme
Toujours
suit !
La
voix plus haute
Semble
un grelot.
D’un
nain qui saute
C’est
le galop.
Il
fuit, s’élance.
Puis
en cadence
Sur
un pied danse
Au
bout d’un flot.
La
rumeur approche.
L’écho
la redit.
C’est
comme la cloche
D’un
couvent maudit ;
Comme
un bruit de foule
Qui
tonne et qui roule,
Et
tantôt s’écroule,
Et
tantôt grandit.
Dieu
! La voix sépulcrale
Des
Djinns !...Quel bruit ils font !
Fuyons
sous la spirale
De
l’escalier profond.
Déjà
s’éteint ma lampe,
Et
l’ombre de ma rampe,
Qui
le long du mur rampe,
Monte
jusqu’au plafond.
C’est
l’essaim des Djinns qui passe,
Et
tourbillonne en sifflant !
Les
ifs, que leur vole fracasse,
Craquent
comme un pin brûlant.
Leur
troupeau lourd et rapide,
Volant
dans l’espace vide,
Semble
un nuage livide
Qui
porte un éclair au flanc.
Ils
sont tout près ! - Tenons fermée
Cette
salle, où nous les narguons.
Quel
bruit dehors ! Hideuse armée
De
vampires et de dragons !
La
poutre du toit descellée
Ploie
ainsi qu’une herbe mouillée,
Et
la vieille porte rouillée
Tremble,
à déraciner ses gonds !
Cris
de l’enfer ! Voix qui hurle et qui pleure!
L’horrible
essaim, poussé par l’aquilon,
Sans
doute, ô ciel ! S’abat sur ma demeure.
Le
mur fléchit sous le noir bataillon.
La
maison crie et chancelle penchée,
Et
l’on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi
qu’il chasse une feuille séchée,
Le
vent la roule avec leur tourbillon !
Prophète
! Si ta main me sauve
De
ces impurs démons des soirs,
J’irai
prosterner mon front chauve
Devant
tes encensoirs !
Fais
que sur ces portes fidèles
Meure
leur souffle d’étincelles,
Et
qu’en vain l’ongle de leurs ailes
Grince
et crie à ses vitraux noirs !
Ils
sont passés ! - leur cohorte
S’envole
et fuit, et leurs pieds
Cessent
de battre ma porte
De
leur coups multipliés.
L’air
est plein d’un bruit de chaînes,
et
dans les forêts prochaines
Frissonnent
tous les grands chênes,
Sous
leur vol de feu pliés !
De
leurs ailes lointaines
Le
battement décroît,
Si
confus dans les plaines,
Si
faible, que l’on croit
Ouïr
la sauterelle
Crier
d’une voix grêle,
Ou
pétiller la grêle
Sur
le plomb d’un vieux toit.
D’étranges
syllabes
Nous
viennent encor ;
Ainsi,
des Arabes
Quand
sonne le cor,
Un
chant sur la grève
Par
instant s’élève,
Et
l’enfant qui rêve
Fait
des rêves d’or.
Les
Djinns funèbres,
Fils
du trépas,
Dans
les ténèbres
Pressent
leur pas ;
Leur
essaim gronde :
Ainsi,
profonde,
Murmure
une onde
Qu’on
ne voit pas.
Ce
bruit vague
Qui
s’endort,
C’est
la vague
Sur
le bord ;
C’est
la plainte
Presque
éteinte
D’une
sainte
Pour
un mort.
On
doute
La
nuit...
J’écoute
:
Tout
fuit,
Tout
passe ;
L’espace
Efface
Le
bruit.
Victor
Hugo
n° 96
Les hiboux 10 points B
Ce sont les mères
de hiboux
Qui désiraient
chercher les poux
De leurs enfants,
leurs petits choux,
En les tenant sur
leurs genoux.
Leurs yeux d’or
valent des bijoux
Leur bec est dur
comme cailloux,
Ils sont doux
comme des joujoux,
Mais aux hiboux,
point de genoux !
Votre histoire se
passait où ?
Chez les
Zoulous ? Les Andalous ?
Ou dans la cabane
bambou ?
A Moscou ? Ou
à Tombouctou ?
En Anjou ou dans
le Poitou ?
Au Pérou ou chez
les Mandchous ?
Hou !
Hou !
Pas du tout,
c’était chez les fous.
Robert Desnos
n° 97
J’écris 10 points B
J'écris des mots
bizarres
J'écris des
longues histoires
J'écris juste pour
rire
Des choses qui ne
veulent rien dire.
Ecrire c'est jouer
J'écris le soleil
J'écris les
étoiles
J'invente des
merveilles
Et des bateaux à
voiles.
Ecrire c'est rêver
J'écris pour toi
J'écris pour moi
J'écris pour ceux
qui liront
Et pour ceux qui
ne liront pas.
Ecrire c'est aimer
J'écris pour ceux
d'ici
Ou pour ceux qui
sont loin
Pour les gens
d'aujourd'hui
Et pour ceux de
demain.
Ecrire c'est
vivre.
Geneviève
Rousseau
n° 98
Le dormeur du val 14
points A
C’est un trou de verdure où
chante une rivière
Accrochant follement aux
herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de
la montagne fière,
Luit : c’est un petit val
qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche
ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans
le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans
l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où
la lumière pleut.
Les pieds dans les
glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade,
il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement
: il a froid.
Les parfums ne font pas
frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la
main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous
rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud
n° 99
Récatonpilu ou le jeu du poulet 6 points CSi tu veux apprendre
des mots inconnus,
récapitulons,
récatonpilu.
Si tu veux connaître
des jeux imprévus,
locomotivons,
locomotivu.
Je suis le renard
je cours après toi
plus loin que ma vie.
Comme tu vas vite !
Si je m'essoufflais !
Si je m'arrêtais !
Jean Tardieu
n° 100
Comme il est bon d'aimer 6 points CIl suffit d'un mot
Pour prendre le monde
Au piège de nos rêves
Il suffit d'un geste
Pour relever la branche
Pour apaiser le vent
Il suffit d'un sourire
Pour endormir la nuit
Délivrer nos visages
De leur masque d'ombre
Mais cent milliards de poèmes
Ne suffirait pas
Pour dire
Comme il est bon d'aimer
Jean-Pierre Siméon
n° 101
Crayons de couleur 6 points CLe vert pour les pommes et les prairies,
Le jaune pour le soleil et les canaris,
Le rouge pour les fraises et le feu,
Le noir pour la nuit et les corbeaux
Le gris pour les ânes et les nuages,
Le bleu pour la mer et le ciel
Et toutes les couleurs pour colorier
Le monde
Chantal Couliou
n° 102
L'orange des rêves 6 points CTu peux perdre le nord
comme on dit
tu peux perdre patience
tu peux perdre ton temps
perdre la mémoire
et ses chemins aveugles
Le sommeil peut glisser
comme une truite
dans tes mains
Tu peux perdre ton sourire
Mais ne perds pas
ne perds jamais
l'orange de tes rêves
Jean-Pierre Siméon
n° 103
Devinettes 8 points CQui décoiffe la mer
Avec des mains qu'on ne voit pas ?
Qui roule sa chanson
Dans la gorge des torrents ?
Qui n'est jamais si lourd
Que quand un oiseau meurt ?
Le vent la pierre et le silence
Qui est ronde comme une joue
Et plus lourde que la peine ?
Qui habille le monde
Quand il se fait tard ?
Qui souffle chaque soir
La bougie du soleil ?
La pierre le silence et le vent
Jean-Pierre Siméon
n° 104
La pomme et l'escargot 14 points AIl y avait une pomme
A la cime d'un pommier ;
Un grand coup de vent d'automne
La fit tomber sur le pré !
Pomme, pomme,
T'es-tu fait mal ?
J'ai le menton en marmelade
Le nez fendu
Et l'oeil poché !
Elle tomba, quel dommage,
Sur un petit escargot
Qui s'en allait au village
Sa demeure sur le dos
A ! Stupide créature
Gémit l'animal cornu
T'as défoncé ma toiture
Et me voici faible et nu.
Dans la pomme à demi blette
L'escargot, comme un gros ver
Rongea, creusa sa chambrette
Afin d'y passer l'hiver.
Ah ! Mange-moi, dit la pomme,
Puisque c'est là mon destin ;
Par testament je te nomme
Héritier de mes pépins.
Tu les mettras dans la terre
Vers le mois de février,
Il en sortira, j'espère,
De jolis petits pommiers.
Charles Vildrac
n° 105
Demain, dès l'aube... 12 points B
Demain, dès l'aube, à l'heure
où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo
n° 106
La pluie 14 points ALa pluie et moi marchions
Bons camarades
Elle courait devant et derrière moi
Et je serrais notre trésor dans mon coeur
Elle chantait pour nous cacher
Elle chantait pour endormir mon coeur
Elle passait sur mon front sa peau mouillée
Et humaine ma chère pluie
Elle tendait l'oreille
Pour savoir si mon chant silencieux était anéanti
Elle me met les mains sur les épaules
Et court tant haut dans la plaine du ciel
Et tant me montre les diamants du soleil
Et tant toujours me caresse la peau
Et tant toujours me chante dans les os
Que je deviens un bon camarade
J'entonne une grande chanson
Qu'on entend et les cabarets et les oiseaux
Disent à notre passage Maintenant
Ils chantent tous les deux.
Pierre Morhange
n° 107
Le loup et le chien 32
points A+A
Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
"Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
"Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
"Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
"Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
Jean de La Fontaine
n° 108
Le cancre 10 points BIl dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu'il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.
Jacques Prévert
n° 109
Le bonheur 14 points CLe bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer.
Si tu veux le
rattraper, cours-y vite, cours-y vite. Si tu veux le rattraper, cours-y vite.
Il va filer.
Dans l’ache et le
serpolet, cours-y vite, cours-y vite, dans l’ache et le serpolet, cours-y vite.
Il va filer.
Sur les cornes du
bélier, cours-y vite, cours-y vite, sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il
va filer.
Sur le flot du
sourcelet, cours-y vite, cours-y vite, sur le flot du sourcelet, cours-y vite.
Il va filer.
De pommier en
cerisier, cours-y vite, cours-y vite, de pommier en cerisier, cours-y vite. Il
va filer.
Saute par-dessus
la haie, cours-y vite, cours-y vite. Saute par-dessus la haie, cours-y
vite ! Il a filé !
Paul
Fortn° 110
Grenouilles 8 points C
Ne coassons pas
Dit crapaud papa
Nul coassement
Dit crapaud maman
Moi pas coasser
Dit crapaud jeunet
Ils en font du bruit
Dit le vieux marquis
Vite une corvée
Disent les laquais
Ça c’est pas marrant
Dit le paysan
Si j’avais su ça
Dit crapaud papa
Au lieu de nous taire
Dit crapaud mémère
Nous aurions chanté
Dit crapaud jeunet
Raymond Queneau
n° 111
Le renard et la cigogne 22 points A
Compère le Renard se mit un jour en frais,et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fût petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galant pour toute besogne,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la Cigogne le prie.
"Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. "
A l'heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort la politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,
En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.
Jean de La Fontaine
n° 112
Portrait de l’autre 10 points BL’Autre :
Celui d’en face, ou d’à côté,
Qui parle une autre langue
Qui a une autre couleur,
Et même une autre odeur
Si on cherche bien…
L’Autre :
Celui qui ne porte pas l’uniforme
Des bien-élevés,
Ni les idées
Des bien-pensants,
Qui n’a pas peur d’avouer
Qu’il a peur…
L’Autre :
Celui à qui tu ne donnerais pas trois sous
Des-fois-qu’il-irait-les-boire,
Celui qui ne lit pas les mêmes bibles,
Qui n’apprend pas les mêmes refrains…
L’Autre :
N’est pas nécessairement menteur, hypocrite,
vaniteux, égoïste, ambitieux, jaloux, lâche,
cynique, grossier, sale, cruel…
Puisque, pour Lui, l’AUTRE…
C’est Toi
Robert Gélis
n° 112bis
POEME 6 points CAraignée du matin: chagrin,
pensait un bébé coccinelle
cherchant à libérer ses ailes.
Araignée du midi: souci
grognait un rat dans son chagrin
de voir un chat près de sa belle.
Araignée du soir: espoir,
disait au briquet l'étincelle
mourant dans le vent du jardin.
Mais l'araignée dans sa nacelle
prisonnière à vie de sa faim
rêvait qu'elle était hirondelle.
Pierre Béarn
n° 113
Le Rat de ville et le Rat des champs 16 points AAutrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'Ortolans.
Sur un Tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le Rat de ville détale ;
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
Achevons tout notre rôt.
- C'est assez, dit le rustique ;
Demain vous viendrez chez moi :
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de Roi ;
Mais rien ne vient m'interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre.
Jean de La Fontaine
n° 114
Devinette 6 points C«Je suis brin de bois noirci
et travaille jour et nuit.
Je soulève—c'est inouï—
cent fois mon poids, et sans cric.
Du grenier jusqu'au fournil
j'engrange des grains de riz.
Ne touchez pas à mon nid
vous feriez venir la pluie. »
C'est ce qu'un soir m'avait dit,
quand nous étions entre amis,
la fourmi.
Michel Beau
n° 115
Caillou 6 points CCaillou noir,
Pas d'espoir.
Caillou rouge,
Rien ne bouge.
Caillou rond,
Pas un rond.
Caillou gris,
Rien de pris.
Caillou vert,
On le perd.
Caillou rose,
Peu de chose.
Caillou jaune,
On le prône,
Caillou blanc,
Vif argent.
Caillou d'or,
Quel trésor !
Caillou bleu,
Qui dit mieux ?
Moi, moi, moi,
Dit le fou:
Caillou plat
Et sans trou.
Maurice Carême
n° 116
Liberté 8 points CPrenez du soleil
Dans le creux des mains,
Un peu de soleil
Et partez au loin!
Partez dans le vent,
Suivez votre rêve ;
Partez à l'instant,
La jeunesse est brève !
Il est des chemins
Inconnus des hommes,
Il est des chemins
Si aériens !
Ne regrettez pas
Ce que vous quittez.
Regardez, là-bas,
L'horizon briller.
Loin, toujours plus loin,
Partez en chantant !
Le monde appartient
A ceux qui n'ont rien.
Maurice Carême
n° 117
Le secret 14 points ASur le chemin près du bois
J'ai trouvé tout un trésor:
Une coquille de noix
Une sauterelle en or
Un arc-en-ciel qu'était mort.
A personne je n'ai rien dit
Dans ma main je les ai pris
Et je l'ai tenue fermée
Fermée jusqu'à l'étrangler
Du lundi au samedi.
Le dimanche l'ai rouverte
Mais il n'y avait plus rien !
Et j'ai raconté au chien
Couché dans sa niche verte
Comme j'avais du chagrin.
Il m'a dit sans aboyer:
« Cette nuit, tu vas rêver. »
La nuit, il faisait si noir
Que j'ai cru à une histoire
Et que tout était perdu.
Mais d'un seul coup j'ai bien vu
Un navire dans le ciel
Traîné par une sauterelle
Sur des vagues d'arc-en-ciel !
René de Obaldia
n° 118
L’automne 8 points COn voit tout le temps, en automne,
Quelque chose qui vous étonne ,
C'est une branche tout à coup ,
Qui s'effeuille dans votre cou.
C'est un petit arbre tout rouge,
Un , d'une autre couleur encor ,
Et puis partout ,ces feuilles d'or
Qui tombent sans que rien ne bouge.
Nous aimons bien cette maison,
Mais la nuit si tôt va descendre !
Retournons vite à la maison
Rôtir nos marrons dans la cendre.
Lucie Delarue-Mardrus
n° 119
Complainte du petit cheval blanc 14 points ALe petit cheval dans le mauvais temps,
qu'il avait donc du courage !
C'était un petit cheval blanc,
tous derrière et lui devant.
Il n'y avait jamais de beau temps
dans ce pauvre paysage.
Il n'y avait jamais de printemps
ni derrière, ni devant.
Mais toujours il était content,
menant les gars du village,
à travers la pluie noire des champs,
tous derrière et lui devant.
Sa voiture allait poursuivant
sa belle petite queue sauvage.
C'est alors qu'il était content,
eux derrière et lui devant.
Mais un jour, dans le mauvais temps,
un jour qu'il était si sage,
il est mort par un éclair blanc,
tous derrière et lui devant.
Il est mort sans voir le beau temps,
qu'il avait donc du courage !
Il est mort sans voir le printemps
ni derrière ni devant.
Paul Fort
n° 120
J’ai vu le menuisier 6 points CJ'ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.
J'ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.
J'ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.
J'ai vu le menuisier
Approcher le rabot.
J'ai vu le menuisier
Donner la juste forme.
Tu chantais, menuisier,
En assemblant l'armoire.
Je garde ton image
Avec l'odeur du bois.
Moi, j'assemble des mots
Et c'est un peu pareil.
Eugène Guillevic
n° 121
La biche 8 points CLa biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.
Pour raconter son infortune
A la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.
Mais aucune réponse, aucune,
A ses longs appels anxieux !
Et, le cou tendu vers les cieux,
Folle d'amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.
Maurice
Rollinat
n° 122
Chanson des escargots qui vont à l’enterrement 22 points AA l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le noir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le coeur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dis
Ça noircit le blanc de l'oeil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vraie chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais là-haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
Jacques Prévert
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