poèmes

merci pour ce choix de poèmes proposé par les enseignants de l'école de Rustrel

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n° 1

Chevaux : trois ; oiseau : un   12 points B


J'ai trois grands chevaux courant dans mon ciel.
J'ai un seul petit oiseau, petit, dans mon champ.

Trois chevaux de feu broutant les étoiles.
Un oiseau petit qui vit d'air du temps.

Trois chevaux perdus dans la galaxie.
Un petit oiseau qui habite ici.

Les chevaux du ciel, c'est un phénomène.
Mais l'oiseau d'ici, c'est celui que j'aime.

Les chevaux du ciel sont de vrais génies.
L'oiseau dans mon champ, c'est lui mon ami.

Mais l'oiseau du champ s'envole en plein ciel,
rejoint mes chevaux, et je reste seul.

J'aimerais bien avoir des ailes.
Ça passerait le temps. Ça passerait le ciel.

Claude Roy



n° 2

Sagesse                                8 points C


Le ciel est, par‑dessus le toit,
Si bleu, si calme
Un arbre, par‑dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, Mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur là
Vient de la ville.
‑ Qu'as‑tu fait., ô toi que voilà,
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as‑tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?

Paul Verlaine


n° 3

Les comédiens                 12 points B

Les comédiens
On dit souvent
Ça vend du vent
À la sauvette
Ils vont
De scène en scène
et partent en tournée
Et dès qu'ils sont vêtus
Des habits qu'on leur prête
Ils deviennent Jésus
Harpagon ou Hamlet
Les comédiens
Disent les gens
Ont bien souvent
Des amourettes
À force de jouer
Ils se prennent au jeu
Sans être Roméo
On s'éprend de Juliette
Juste le temps qu'il faut
Pour en souffrir un peu
Les comédiens
Quand l'âge vient
Quittent la scène
Et quand il leur advient
De vivre de longs jours
Sur cour ou sur jardin
Tout seuls ils se souviennent
De ce fichu métier
Qu'ils ont aimé
D'amour

Jean‑Roger Caussimon


n° 4

Le vendeur de murmures      10 points B


Il était une fois
Le vendeur de murmures.
Il murmurait la nuit donc
à la demande
du bout des dents
en une étrange litanie
les phrases confiées la veille à son oreille
et dont il avait la prudence
professionnelle
d'inscrire les commandes
dans des carnets
toujours petits
et qu'il parfumait
tantôt à la lavande
tantôt au patchouli
C'est qu'il n'avait jamais voulu user lui
comme les vendeurs de cris
de ces vastes camions d'amplification
qui sillonnaient le pays à grand renfort de klaxons
néons
haut‑parleurs et enseignes
ce qu'il vendait on l'entendait à peine

Philippe Garnier

 

n° 5

La chevauchée                       8 points C


Certains, quand ils sont en colère,
Crient, trépignent, cassent des verres...
Moi, je n'ai pas tous ces défauts :
Je monte sur mes grands chevaux.

Et je galope, et je voltige,
Bride abattue, jusqu'au vertige
Des étincelles sous leurs fers,
Mes chevaux vont un train d'enfer.

Je parcours ainsi l'univers,
Monts, forêts, campagnes, déserts...
Quand mes chevaux sont fatigués,
Je rentre à l'écurie ‑ calmé.

Jacques Charpentreau




n° 6

Le soir indécis             8 points C


Le soir vient entre chien et loup,
Ombre parmi les ombres grises,
Entre policier et filou,
Entre mule et cheval de frise.

Il arrive entre chèvre et chou,
Figue et raisin, verre et carafe,
Entre montagne et caoutchouc,
Le soir, entre chêne et girafe.

Langue de chien et dents de loup,
A toutes pattes, à tire‑d'aile,
Se mélangent dans le ciel flou
Chauves‑souris et hirondelles.

Jacques Charpentreau

 

n° 7

Balançoire                                       8 points C


Quand tu parles bien, tu me berces,
Et je m'envole avec ta voix.
Les étoiles à la renverse,
Je m'élance au ciel, un, deux, trois !

Si tu bégaies, je me balance
A petits coups secs, cahoté,
Quand tu déclames, la cadence
Me fait descendre et remonter.

Tu accélères ton effort,
Je fais des bonds comme une chèvre.
Attention ! Ne crie pas trop fort
Je suis suspendu à tes lèvres.

Jacques Charpentreau



n° 8

L'air en conserve                            8 points C


Dans une boîte, je rapporte
Un peu de l'air de mes vacances
Que j'ai enfermé par prudence.
Je l'ouvre ! Fermez bien la porte

Respirez à fond ! Quelle force !
La campagne en ma boîte enclose
Nous redonne l'odeur des roses,
Le parfum puissant des écorces,

Les arômes de la forêt...
Mais couvrez‑vous bien, je vous prie,
Car la boîte est presque finie :
C'est que le fond de l'air est frais.

Jacques Charpentreau

 

n° 9

Les mouches               12 points B


Les mouches d'aujourd'hui
ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois
elles sont moins gaies
plus lourdes, plus majestueuses, plus graves
plus conscientes de leur rareté
elles se savent menacées de génocide
Dans mon enfance elles allaient se coller joyeusement
par centaines, par milliers peut‑être
sur du papier fait pour les tuer
elles allaient s'enfermer
par centaines, par milliers peut‑être
dans des bouteilles de forme spéciale
elles patinaient, piétinaient, trépassaient
par centaines, par milliers peut‑être
elles foisonnaient
elles vivaient
Maintenant elles surveillent leur démarche
les mouches d'aujourd'hui
ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois.

Raymond Queneau


n° 10

Le Loup et l'agneau              20 points A


La raison du plus fort est toujours la meilleure:
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure ;
Un Loup survint à jeun,
qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
«Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage ;
Tu seras châtié de ta témérité.
‑ Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vais désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au‑dessous d'elle;
Et que par conséquent,
en aucune façon,
je ne puis troubler sa boisson.
‑ Tu la troubles, reprit cette bête cruelle ;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais‑je fait si je n'étais pas né?
Reprit l'Agneau,
je tête encor ma mère.
-          Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
-          Je n'en ai point.
-          C'est donc quelqu'un des tiens
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit: il faut que je me venge.»
Là‑dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

Jean de La Fontaine

 

n° 11

Toujours et Jamais              14 points A


Toujours et Jamais étaient toujours ensemble
ne se quittaient jamais. On les rencontrait
dans toutes les foires.
On les voyait le soir traverser le village
sur un tandem.
Toujours guidait
Jamais pédalait
C'est du moins ce qu'on supposait...
Ils avaient tous les deux une jolie casquette
L'une était noire à carreaux blancs
L'autre blanche à carreaux noirs
A cela on aurait pu les reconnaître
Mais ils passaient toujours le soir
et avec la vitesse...
Certains d'ailleurs les soupçonnaient
Non sans raison peut‑être
D'échanger certains soirs leur casquette
Une autre particularité
Aurait dû les distinguer
L'un disait toujours bonjour
L'autre toujours bonsoir
Mais on ne sut jamais
Si c'était Toujours qui disait bonjour
Ou Jamais qui disait bonsoir
Car entre eux ils s'appelaient toujours
Monsieur Albert Monsieur Octave.

Paul Vincensini



n° 12

Dimanche                              8 points C

Charlotte
Fait de la compote.
Bertrand
Suce des harengs.
Cunégonde
Se teint en blonde.
Epaminondas 
Cire ses godasses.
Thérèse
Souffle sur la braise.
Léon
Peint des potirons.
Brigitte
S'agite, s'agite.
Adhémar
Dit qu'il en a marre.
La pendule
Fabrique des virgules.
Et moi dans tout cha?
Et moi dans tout cha?
Moi, ze ne bouze pas
Sur ma langue z'ai un chat.

René de Obaldia

 

n° 13

Ma maison                  12 points B


Quand j'ai chaussé les bottes
Qui devaient m'amener à la ville
j'ai mis dans ma poche
Une vieille maison
Où j'avais fait entrer
Une jeune fille
Il y avait déjà ma mère dans la cuisine
En train de servir le saumon
Quatre pieds carrés de soleil
Sur le plancher lavé
Mon père était à travailler
Ma sœur à cueillir des framboises
Et le voisin d'en face et celui d'en arrière
Qui parlaient de beau temps
Sur la clôture à quatre lisses
Et de l'air propre autour de tout cela

Aussitôt arrivé en ville
j'ai sorti ma maison de ma poche
Et c'était un harmonica

Gilles Vigneault



n° 14

Conseils donnés par une sorcière

(A voix basse, avec un air épouvanté,
à l'oreille du lecteur.)            8 points C

Retenez‑vous de rire
dans le petit matin !

N'écoutez pas les arbres
qui gardent les chemins

Ne dites votre nom
à la terre endormie
qu'après minuit sonné

A la neige, à la pluie
ne tendez pas la main

N'ouvrez votre fenêtre
qu'aux petites planètes
que vous connaissez bien

Confidence pour confidence
vous qui venez me consulter,
méfiance, méfiance !
On ne sait pas ce qui peut arriver.

Jean Tardieu


n° 15

L’ordinateur et l’éléphant     14 points A


Parce qu'il perdait la mémoire
Un ordinateur alla voir
Un éléphant de ses amis
-          C'est sûr, je vais perdre ma place,
Lui dit‑il, viens donc avec moi.
Puisque jamais ceux de ta race
N'oublient rien, tu me souffleras.
Pour la paie, on s'arrangera.

Ainsi firent les deux compères.
Mais l'éléphant était vantard
Voilà qu'il raconte ses guerres,
Le passage du Saint‑Bernard,
Hannibal et Jules César...

Les ingénieurs en font un drame
Ça n'était pas dans le programme
Et l'éléphant, l'ordinateur
Tous les deux, les voilà chômeurs.

De morale je ne vois guère                                              
A cette histoire, je l'avoue.
Si vous en trouvez une, vous,
Portez‑la chez le Commissaire;
Au bout d'un an, elle est à vous
Si personne ne la réclame.

Jean Rousselot

 


n° 16

Je hais les haies               8 points C

Je hais les haies
Qui sont des murs.
Je hais les haies
Et les mûriers
Qui font la haie
Le long des murs.
Je hais les haies
Qui sont de houx.
Je hais les haies
Qu’elles soient de mûres
Qu’elles soient de houx !
Je hais les murs
Qu’ils soient en dur
Qu’ils soient en mou !
Je hais les haies
Qui nous emmurent.
Je hais les murs
Qui sont en nous.

Raymond Devos

 

n° 17

Liberté               12 points B


Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom

Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom

Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Paul Eluard



n° 18

Si...                               10 points B


Si la sardine avait des ailes,
Si Gaston s'appelait Gisèle,
Si l'on pleurait lorsque l'on rit,
Si le pape habitait Paris,
Si l'on mourait avant de naître,
Si la porte était la fenêtre,
Si l'agneau dévorait le loup,
Si les Normands parlaient zoulou,
Si la mer Noire était la Manche
Et la mer Rouge la mer Blanche,
Si le monde était à l'envers,
Je marcherais les pieds en l'air,
Le jour je garderais la chambre,
J'irais à la plage en décembre,
Deux et un ne feraient plus trois...
Quel ennui ce monde à l'endroit!

Jean-Luc Moreau

 

n° 19

Dame la Lune              10 points B

Dame la Lune
Mange des prunes
Avec la peau
Et les noyaux.
Et C'est pourquoi
Quand on la voit,
Elle est si ronde,
La Lune blonde
Mais une nuit
Elle maigrit
Car la salade
La rend malade.
Et c'est pourquoi
Elle décroît
Et n'est plus ronde,
La Lune blonde
La demi‑Lune
Fait encore jeune
Et de moitié
Devient quartier.
Et c'est pourquoi
Elle décroît,
Et n'est plus ronde,
La Lune blonde !
Le quart de Lune
Mange des prunes
Avec la peau
Et les noyaux.
Et c'est pourquoi
La Lune croît
Et sera ronde
La dame blonde
Marcelle Vérité

n° 20

L'escargot matelot                 8 points C


Un escargot fumant sa pipe
Portait sa maison sur son dos.
C'était un garçon sympathique,
Un brave et joyeux escargot.
Il avait été matelot
Et navigué sur un cargo.
Il en avait assez de l'eau
Cet ancien marin escargot.
Son ami le petit Léon
Lui apportait du tabac blond.
Et l'escargot fumant sa pipe
Évoquait la mer, les tropiques,
Et le tour du monde en cargo
Qu'il avait fait en escargot,
Un escargot fumant la pipe
Pour n'être pas mélancolique.

Claude Roy

 

n° 20bis

Les pommes de lune              8 points C


Entre Mars et Jupiter
Flottait une banderole
Messieurs Mesdames
Faites des affaires
Grande vente réclame
De pommes de terre

Un cosmonaute qui passait par là
Fut tellement surpris qu'il s'arrêta
Et voulut mettre pied à terre

Mais pas de terre en ce coin‑là
Et de pommes de terre
Pas l'ombre d'une

C'est une blague sans doute
Dit‑il en reprenant sa route
Et à midi il se fit
Un plat de pommes de lune.

Jean Rousselot



n° 21

Le silence est d'or                  10 points B


« Oui, le silence est d'or »,
Me dit toujours maman.
Et pourquoi pas alors,
En fer ou en argent ?

Je ne sais pas en quoi
Je puis bien être faite :
Graine de cacatois
M'appelle la préfète.

D'accord ! Je suis bavarde.
Mais est‑ce une raison
Pour que l'on me brocarde
En classe, à la maison,

Et que l'on me répète
Et me répète encor
A me casser la tête
Que le silence est d'or ?

Est‑ce, ma faute à moi
Si j'ai là dans la gorge,
Un petit rouge‑gorge
Qui gazouille de joie ?

Maurice Carême



n° 22

C'est tout un art d'être canard 10 points B


C'est tout un art d'être canard
C'est tout un art
d'être canard
canard marchant
canard nageant
canards au sol vont dandinant
canards sur l'eau vont naviguant
être canard
c'est absorbant
terre ou étang
c'est différent
canards au sol s'en vont en rang
canards sur l'eau, s'en vont ramant
être canard
ça prend du temps
c'est tout un art
c'est amusant
canards au sol vont cancanant
canards sur l'eau sont étonnants
il faut savoir
marcher, nager
courir, plonger
dans l'abreuvoir
canards le jour sont claironnants
canards le soir vont clopinant
canards aux champs
ou sur l'étang
c'est tout un art
d'être canard.

Claude Roy


n° 23

Impression fausse                  12 points B


Dame souris trotte
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte,
Grise dans le noir.
On sonne la cloche :
Dormez les bons prisonniers,
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez
Pas de mauvais rêve :
Ne pensez qu'à vos amours
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !
Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté
Le grand clair de lune
En réalité !
Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four,
Un nuage passe,
Tiens le petit jour !
Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus,
Dame souris trotte,
Debout, paresseux !

Paul Verlaine

 

n° 24

Conciliabule                          14 points A


Trois lapins, dans le crépuscule,
Tenaient un long conciliabule.
Le premier montrait une étoile
Qui montait sur un champ d'avoine.
Les autres, pattes sur les yeux,
La regardaient d'un air curieux.
Puis tous trois, tête contre tête,
Se parlaient d'une voix inquiète.
Se posaient‑ils, tout comme nous,
Les mêmes questions sans réponse ?
D'où venons‑nous ?
Où allons nous ?
Que sommes‑nous ?
Pourquoi ces ronces
Pourquoi dansons‑nous le matin,
Parmi la rosée et le thym ?
Pourquoi avons‑nous le cul blanc,
Longues oreilles, longues dents ?
Pourquoi notre nez tout le temps,
Tremble‑t‑il comme feuille au vent ?
Pourquoi l'ombre d'un laboureur
Nous fait‑elle toujours si peur ?
Trois lapins dans le crépuscule
Tenaient un long conciliabule.
Et il aurait duré longtemps
Encore si une grenouille
N'avait plongé soudainement
Dans l'eau de lune de l'étang.

Maurice Carême



n° 25

Iles                 6 points C

Iles
Iles où l’on ne prendra jamais terre
Iles où l’on ne descendra jamais
Iles couvertes de végétation
Iles tapies comme des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu’à vous

Blaise Cendrars


n° 26

Déménager                                      6 points

Quitter un appartement. Vider les lieux.
Décamper. Faire place nette. Débarrasser le plancher.
Inventorier, ranger, classer, trier.
Éliminer, jeter, fourguer.
Casser.
Brûler.
Descendre, desceller, déclouer, décoller, dévisser, décrocher.
Débrancher, détacher, couper, tirer, démonter, plier, couper.
Rouler.
Empaqueter, emballer, sangler, nouer, empiler, rassembler, entasser, ficeler, envelopper, protéger, recouvrir, entourer, serrer.
Enlever, porter, soulever.
Balayer.
Fermer.
Partir.

Georges Perec

n° 27

Nuit dansante                        10 points B


Quand le hibou joue de la flûte,
Le grillon sort son violon,
La hulotte prend son luth
Et le crapaud son basson.

Cela se passe dans le Sud,
Non loin du vieux pont d'Avignon,
Sur le Rhône, c'est l'habitude
De danser ainsi tous en rond.

Chats‑huants, quels entrechats
Grand‑duc, aimez‑vous le rock ?
Mais qui sont donc ces petits rats ?
Des surmulots. Ah! quelle époque!

Ainsi danse‑t‑on dans les bois
Chaque nuit jusqu'au chant du coq,
C'est du moins ce que dit mon chat
natif d'Uzès, en Languedoc.

Marc Alyn




n° 28

Dit des oiseaux             14 points A


Tirelire! Tirelire!
Dit l'alouette
Mais on ne l'a jamais vue mettre
Un sou de côté
Plus vite! Plus vite !
Dit le merle aux ouvriers
Mais lui passe son temps à enfiler des perles
De rosée
Je n'y crois pas, crois pas, crois pas
Dit le corbeau en secouant ses manches
Mais tout ce qu'il voit il le mange
Faites que tout brille, brille
Ordonne la pie
Mais jusqu'au crépuscule
Elle jouit de la vie
Dans son fauteuil à bascule
Des couleurs j'ai, des couleurs j'ai!
Dit le geai.
Mais quand tu veux l'admirer
Il a déjà filé.
Dis‑moi tu, dis‑moi tu
Dît le moineau dodu
Mais dès que tu ouvres la bouche
Il s'effarouche
Et que dit le serin ?
On n'y comprend rien
C'est peut‑être du latin

Jean Rousselot



n° 29

Le relais                      12 points B


En voyage, on s'arrête, on descend de voiture ;
Puis entre deux maisons on passe à l'aventure,
Des chevaux, de la route et des fouets étourdi,
L'œil fatigué de voir et le corps engourdi.

Et voici tout à coup, silencieuse et verte,
Une vallée humide et de lilas couverte,
Un ruisseau qui murmure entre les peupliers,
Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !

On se couche dans l'herbe et l'on s'écoute vivre,
De l'odeur du foin vert à loisir on s'enivre,
Et sans penser à rien on regarde les cieux.
Hélas une voix crie : « En voiture, messieurs!»

Gérard de Nerval



n° 30

La cimaise et la fraction       14 points A

La cimaise ayant chaponné
Tout l'éternueur
Se tuba fort dépurative
Quand la bixacée fut verdie :
Pas un sexué pétrographique morio
De mouffette ou de verrat.
Elle alla crocher frange
Chez la fraction sa volcanique
La processionnant de lui primer
Quelque gramen pour succomber
Jusqu'à la salanque nucléaire.
« Je vous peinerai, lui discorda-t-elle,
Avant l'apanage, folâtrerie d'Annamite !
Interlocutoire et priodonte. "
La fraction n'est pas prévisible :
C'est là son moléculaire défi.
« Que ferriez-vous au tendon cher ?
Discorda-t-elle à cette énarthrose.
- Nuncupation et joyau à tout vendeur,
Je chaponnais, ne vous déploie.
-Vous chaponniez ? J'en suis fort alamante.
Eh bien ! débagoulez maintenant. »

Raymond Queneau

 


n° 31

Mon général                     8 points C

Mon général, votre tank est si solide
Il couche une forêt, il écrase cent hommes
Mais il a un défaut : il a besoin d’un mécanicien.

Mon général, votre bombardier est si puissant
Il vole plus vite que l’éclair et transporte plus qu’un éléphant
Mais il a un défaut : il a besoin d’un pilote.

Mon général, l’homme est très utile
Il sait voler, il sait tuer
Mais il a un défaut : il sait penser.

Bertolt Brecht


n° 32

Les larmes du crocodile                  8 points C


Si vous passez au bord du Nil
Où le délicat crocodile
Croque en pleurant la tendre Odile,
Emportez un mouchoir de fil.

Essuyez les pleurs du reptile
Perlant aux pointes de ses cils,
Et consolez le crocodile :
C'est un animal très civil.

Sur les bords du Nil en exil,
Pourquoi ce saurien pleure‑t‑il ?
C'est qu'il a les larmes faciles
Le crocodile qui croque Odile.

 

Jacques Charpentreau



n° 33

La lessive                      8 points C


Chaque semaine, mes parents,
Cinq tantes, dix oncles, vingt nièces,
Cent cousins, des petits, des grands,
Se pressent dans la même pièce.

Dans la machine, ils introduisent
Mille corsages et chemises,
Cent mille slips et pyjamas,
Un million de paires de draps.

Nylon, dentelles ou guenilles,
Chaque semaine nous avons
Cette habitude : nous lavons
Notre linge sale en famille.

Jacques Charpentreau

 

n° 34

La recherche                          8 points C


Certains la cherchent dans les airs
Parmi les oiseaux des nuages,
D'autres dans les fleurs du bocage
Ou dans les algues de la mer.

Ils s'en vont la chercher en Chine,
Dans un temple ancien, à Pékin,
Dans les pages d'un vieux bouquin,
Dans les secrets d'une machine...

Pourquoi remuer la planète ?
Moi, comme je t'aime beaucoup,
Dans les cheveux blonds de ton cou
Je cherche la petite bête.

Jacques Charpentreau


n° 35

Le chat et le chant                 8 points C


Sur la scène de l'Opéra,
Autour de la grande chanteuse,
Dansent en rond les petits rats.
La cantatrice est bien heureuse.

Elle sait que rien ne viendra
Troubler ses harmonieux arpèges,
Car la danse des petits rats
Des fausses notes la protège.

Elle soulève à tour de bras
Sa poitrine en soufflet de forge
Et prête à lancer sur les rats
Le chat qu'elle aurait dans la gorge.

Jacques Charpentreau



n° 36

La fuyante                                      8 points C


Vous me croyez douce et soumise
Mais malgré vos yeux grands ouverts, Moi, je vous échappe à ma guise
Et je joue la fille de l'air.

Fille de l'air, enfant du songe,
Je pars au gré de mon caprice,
Sur une brise je m'allonge,
Dans un courant d'air je me glisse.

Quand je suis lasse, je repose
Sur un blanc coussin de nuage,
Avec le parfum de la rose
Sur l'aile du vent je voyage.

Jacques Charpentreau


n° 37

En voyage                            8 points C


Quand vous m’ennuyez, je m’éclipse,
Et, loin de votre apocalypse,
Je navigue, pour visiter
La Mer de la Tranquillité.

Vous tempêtez ? Je n’entends rien.
Sans bruit, au fond du ciel je glisse.
Les étoiles sont mes complices.
Je mange un croissant. Je suis bien.

Vous pouvez toujours vous fâcher,
Je suis si loin de vos rancunes !
Inutile de me chercher :
Je suis encore dans la lune.

Jacques Charpentreau



n° 38

Au cirque                               8 points C


Au grand cirque de l'Univers,
On voit sauter des trapézistes,
Des clowns, des jongleurs, des artistes S'envoler à travers les airs.

L'écuyère sur ses chevaux
Passe du noir au brun, au blanc,
Le funambule, sans élan,
Droit sur son fil, saute là‑haut.

Tout saute à s'en rompre le crâne
Les lions sur des tambours dorés,
Les tigres sur des tabourets...
Moi, je saute du coq à l'âne.

Jacques Charpentreau



n° 39

Diable !                                  8 points C


Tirer le diable par la queue
Au fond d'une pauvre banlieue,
C'est courir sans aucun repos,
N'avoir que les os sur la peau,

Au charivari du ménage,
Dîner d'un pain et d'un fromage,
Voir s'en aller tables et chaises,
Les fauteuils filer à l'anglaise.

Il griffe, il mord, il nous entraîne
Au feu d'enfer de la déveine,
Plus dangereux que Barbe Bleue,
Le diable tiré par la queue.

Jacques Charpentreau



n° 40

Les beaux métiers                  8 points C


Certains veulent être marins,
D'autres ramasseurs de bruyère,
Explorateurs de souterrains,
Perceurs de trous dans le gruyère,

Cosmonautes, ou, pourquoi pas,
Goûteurs de tartes à la crème,
De chocolat et de babas :
Les beaux métiers sont ceux qu'on aime.

L'un veut nourrir un petit faon,
Apprendre aux singes l'orthographe,
Un autre bercer l'éléphant...
Moi, je veux peigner la girafe !

Jacques Charpentreau


n° 41

L'île des rêves                        8 points C


Il a mis le veston du père,
Les chaussures de la maman
Et le pantalon du grand frère
Il nage dans ses vêtements.

Il nage, il nage à perdre haleine.
Il croise des poissons volants,
Des thons, des dauphins, des baleines...
Que de monde, dans l'océan!

Écume blanche et coquillages,
Il nage depuis si longtemps
Qu'il aborde enfin au rivage
Du pays des rêves d'enfants.

Jacques Charpentreau



n° 42

Le lutin horloger                  8 points C


Il court, il court, sa montre en main,
Par les rues et par les chemins !
Mais qu'est‑il en train de chercher
De l'hôtel de ville au clocher ?

Il retourne les sabliers,
Il inspecte les balanciers.
Quartz ou ressort, vite il déloge
L'oiseau caché dans votre horloge

Tic‑tac, il avance, il recule
Les aiguilles de la pendule.
Il court, de demeure en demeure,
Chercher midi à quatorze heures.

Jacques Charpentreau


n° 43

La clé des champs                 8 points C


On a perdu la clé des champs!
Les arbres, libres, se promènent,
Le chêne marche en trébuchant,
Le sapin boit à la fontaine.

Les buissons jouent à chat perché,
Les vaches dans les airs s'envolent,
La rivière monte au clocher
Et les collines cabriolent.

J'ai retrouvé la clé des champs
Volée par la pie qui jacasse.
Et ce soir au soleil couchant
J'aurai tout remis à sa place.

Jacques Charpentreau



n° 44

Le Corbeau et le Renard    14 points A


Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l'odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
«Hé! bonjour, monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. »
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit : «Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.»
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

Jean de La Fontaine

 

 

n° 45

Le Lion et le Rat                    14 points A


Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde : On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi ;
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait‑il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eût affaire ?
Cependant il advint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.

Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

Jean de La Fontaine

 

n° 46

La Cigale et la Fourmi          12 points B


La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
«Je vous paierai, lui dit‑elle,
Avant l'oût, foi d'animal,
Intérêt et principal.»
La Fourmi n'est pas prêteuse ;
C'est là son moindre défaut.
«Que faisiez‑vous au temps chaud ?
Dit‑elle à cette emprunteuse.
-          Nuit et jour à tout venant je chantais, ne vous déplaise.
-          Vous chantiez ? j'en suis fort aise :
Eh bien! dansez maintenant.»

Jean de La Fontaine


n° 47

La fourmi et la cigale   12 points B


La fourmi ayant stocké
Tout l’hiver
Se trouva fort encombrée
Quand le soleil fut venu :
Qui lui prendrait ses morceaux
De mouches ou de vermisseaux ?
Elle tenta de démarcher
Chez la cigale, sa voisine,
La poussant à s’acheter
Quelques grains pour subsister
Jusqu’à la saison prochaine.
« Vous me paierez, lui dit-elle,
Après l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La cigale n’est pas gourmande :
C’est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps froid ?
Dit-elle à cette amasseuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je stockais, ne vous déplaise.
- Vous stockiez ? j’en suis fort aise ;
Et bien soldez maintenant. »

Françoise Sagan

 



n° 48

Pour faire le portrait d'un oiseau

 24 points A


Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger ...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

Jacques Prévert

 

 

n° 49

Le hareng saur  

18 points A



Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle- haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec.


Il vient, tenant dans ses mains - sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu
Un peloton de ficelle - gros, gros, gros.


Alors il monte à l'échelle - haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu - toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur blanc - nu, nu, nu.


Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur - sec, sec, sec.


Il redescend de l'échelle - haute, haute, haute,
L’emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s'en va ailleurs - loin, loin, loin.


Et, depuis, le hareng saur - sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue,
Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours.


J'ai composé cette histoire - simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves,
Et amuser les enfants - petits, petits, petits.

Charles Cros

 

 

n° 50

Chanson de la Seine     6 points C

La Seine a de la chance
elle n'a pas de soucis
elle se la coule douce
le jour comme la nuit
et elle sort de sa source
tout doucement sans bruit
et sans faire de mousse
sans sortir de son lit
elle s'en va vers la mer
en passant par Paris

Jacques Prévert



n° 51

Les animaux du zodiaque 10 points B


Quand ils ont quitté les baraques
Du soleil, leur patient berger,
Les animaux du zodiaque
Vont boire dans la voie lactée.

Puis ils s'égaillent dans les prés
Du ciel plein des graminées pâles
En croquant parfois une étoile
Qui éclate en grains de clarté.

Il arrive aussi que la Vierge
Leur tende en riant son épi
Et leur montre, ourlé de lumière,
Le grand portail du paradis.

Mais dès que le fouet de l'aurore
S'en vient claquer au-dessus d'eux,
Bélier, Taureau et Capricorne
Font tourner la roue d'or des cieux.

Maurice Carême



n° 52

Le cheval                      8 points C

Et le cheval longea ma page.
Il était seul, sans cavalier,
Mais je venais de dessiner
Une mer immense et sa plage.

Comment aurais-je pu savoir
D'où il venait, où il allait ?
Il était grand, il était noir,
Il ombrait ce que j'écrivais.

J'aurais pourtant dû deviner
Qu'il ne fallait pas l'appeler.
Il tourna lentement la tête
Et, comme s'il avait eu peur
Que je lise en son coeur de bête,
Il redevint simple blancheur.

Maurice Carême

 

 

n° 53

L'oiseau bleu                10 points B

Mon oiseau bleu a le ventre tout bleu
Sa tête est d'un vert mordoré
Il a une tache noire sous la gorge
Ses ailes sont bleues
avec des touffes de petites plumes jaune doré

Au bout de la queue il y a
des traces de vermillon
Son dos est zébré de noir et de vert
Il a le bec noir les pattes incarnat
et deux petits yeux de jais

Il adore faire trempette,
se nourrit de bananes et pousse
Un cri qui ressemble au sifflement
d'un tout petit jet de vapeur.

On le nomme le septicolore.

Blaise Cendrars



n° 54

Les trois noisettes         10 points B
Trois noisettes dans le bois
Tout au bout d'une brindille
Dansaient la capucine vivement au vent
En virant ainsi que filles
De roi.

Un escargot vint à passer :
"Mon beau monsieur, emmenez-moi
Dans votre carrosse,
Je serai votre fiancée"
Disaient-elles toutes trois.

Mais le vieux sire sourd et fatigué,
Le sire aux quatre cornes sous les feuilles
Ne s'est point arrêté,
Et, c'est l'ogre de la forêt, je crois,
C'est le jeune ogre rouge, gourmand et fûté,
Monseigneur l'écureuil,
Qui les a croquées

Tristan Klingsor



n° 55

Les perles de rose                           8 points C
Si tu veux inventer un collier,
Tiens, voici comment procéder.
De bon matin, te réveiller,
Dans les rosiers, te promener.

Tu verras des perles de rosée,
Sur les roses elles sont accrochées.
Une bonne poignée tu cueilleras,
Dans une boîte tu les rangeras.

Un cheveu d'or pour les assembler,
Un tout petit nœud pas trop serré,
Ainsi tu auras un joli collier,
Aussi souple que celui d'une fée.

Gilbert Saint-Pré




n° 56

Ulysse                  8 points C
- Ulysse, Ulysse, arrête-toi,
Écoute la voix des sirènes
Plonge, va trouver notre reine,
Dans son palais, deviens le roi

Mais Ulysse préfère au toit
Des vagues celui des nuages,
Dans la direction d'Ithaque
Son regard reste fixé droit

Et les filles aux longs cheveux
Ont beau nager dans son sillage,
Il demeure sourd, il ne veut

Que la chanson, que le visage
Conservé au fond de ses yeux,
De Pénélope toujours sage.

Louis Guillaume



n° 57

Météorologie                10 points B
L'oiseau vêtu de noir et vert
m'a apporté un papier vert
qui prévoit le temps qu'il va faire.
Le printemps a de belles manières.

L'oiseau vêtu de noir et de blond
m'a apporté un papier blond
qui fait bourdonner les frelons.
L'été sera brûlant et long.
L'oiseau vêtu de noir et et jaune
m'a apporté un papier jaune
qui sent la forêt en automne.

L'oiseau vêtu de noir et blanc
m'a apporté un flocon blanc.

L'oiseau du temps que m'apportera-t-il ?

Claude Roy



n° 58

L'enfant qui battait la campagne

10 points B

Vous me copierez deux cents fois le verbe:

Je n'écoute pas. Je bats la campagne.

Je bats la campagne, tu bats la campagne,

Il bat la campagne à coups de bâton.


La campagne ? Pourquoi la battre ?
Elle ne m'a jamais rien fait.

C'est ma seule amie, la campagne,
Je baye aux corneilles, je cours la campagne.

Il ne faut jamais battre la campagne :
on pourrait casser un nid et ses oeufs.

On pourrait briser un iris, une herbe,
On pourrait fêler le cristal de l'eau.

Je n'écouterai pas la leçon.
Je ne battrai pas la campagne.

Claude Roy



n° 59

Le cosmonaute et son hôte    12 points B


Sur une planète inconnue,
un cosmonaute rencontra
un étrange animal;
il avait le poil ras,
une tête trois fois cornue,
trois yeux, trois pattes et trois bras !
« Est‑il vilain! pensa le cosmonaute
en s'approchant prudemment de son hôte.
Son teint a la couleur d'une vieille échalote,
son nez a l'air d'une carotte.
Est‑ce un ruminant? Un rongeur? »
Soudain, une vive rougeur
colora plus encor le visage tricorne.
Une surprise sans bornes
fit chavirer ses trois yeux.
<< Quoi! Rêvé‑je? dit‑il. D'où nous vient, justes cieux,
ce personnage si bizarre sans crier gare !
Il n'a que deux mains et deux pieds,
il n'est pas tout à fait entier.
Regardez comme. il a l'air bête,
il n'a que deux yeux dans la tête !
Sans cornes, comme il a l'air sot ! »
C'était du voyageur arrivé de la Terre
que parlait l'être planétaire.
Se croyant seul parfait et digne du pinceau,
il trouvait au Terrien un bien vilain museau.
Nous croyons trop souvent que, seule, notre tête
est de toutes la plus parfaite!

Pierre Gamarra

n° 60

Mon petit lapin                      6 points C

Mon petit lapin

N'a plus de chagrin

Depuis le matin,

Il fait de grands sauts au fond du jardin.


Mon petit lapin
N'a plus de chagrin
Il parle aux oiseaux
Et il rit tout haut
Dans l'ache et le thym

Mon petit lapin
N'a plus de chagrin
Le voisin d'en face
A vendu ses chiens,
Ses trois chiens de chasse.

Maurice Carême


n° 61

Terre-Lune                   8 points C

Terre Lune, Terre Lune
Ce soir j'ai mis mes ailes d'or
Dans le ciel comme un météore
Je pars

Terre Lune, Terre Lune
J'ai quitté ma vieille atmosphère
J'ai laissé les morts et les guerres
Au revoir

Dans le ciel piqué de planètes
Tout seul sur une lune vide
Je rirai du monde stupide
Et des hommes qui font les bêtes

Terre Lune, Terre Lune
Adieu ma ville, adieu mon cœur
Globe tout perclus de douleurs
Bonsoir.

Boris Vian



n° 62

Le pélican                   8 points C
Le capitaine Jonathan,
Etant âgé de dix-huit ans,
Capture un jour un pélican
Dans une île d'Extrême-Orient.

Le pélican de Jonathan,
Au matin, pond un oeuf tout blanc
Et il en sort un pélican
Lui ressemblant étonnamment.

Et ce deuxième pélican
Pond, à son tour, un oeuf tout blanc
D'ou sort, inévitablement,
Un autre qui en fait autant.
Cela peut durer très longtemps
Si l'on ne fait pas d'omelette avant.

Robert Desnos



n° 63

C'est la Toussaint                  10 points B


C'est la Toussaint
Le ciel est gris comme demain
Et lourd comme les chrysanthèmes.

Le vent
Rougit le nez des gens
Glace leurs pieds
Glace leurs mains:
C'est la Toussaint.

Des feuilles mortes
Que la brise emporte
Bouchent les portes.

Dans les maisons
le feu chante
A son diapason
Sa chanson.

Mais le froid
entre quand même
Par les fentes des croisées :
Il faut geler.

Alors
Dedans comme dehors
le froid mord.

Et les gens moroses
Se plaignent des choses
De l'hiver qui vient:
C'est la Toussaint...

Clod'Aria


n° 64

Clown                 12 points B


Je suis le vieux Tourneboule
Ma main est bleue d'avoir gratté le ciel
Je suis Barnum je fais des tours
Assis sur le trapèze qui voltige
Aux petits, je raconte des histoires
Qui dansent au fond de leurs prunelles
Si vous savez vous servir de vos mains
Vous attrapez la lune
Ce n'est pas vrai qu'on ne peut pas la prendre
Moi je conduis des rivières
j'ouvre les doigts elles coulent à travers

Dans la nuit
Et tous les oiseaux viennent y boire
sans bruit

Les parents redoutent ma présence
Mais les enfants s'échappent le soir
Pour venir me voir
Et mon grand nez de buveur d'étoiles
Luit comme un miroir.

 

Werner Renfer

 

La Fenêtre                    12 points B

Pour les autres, pour les passants,

tu es simplement la fenêtre.
Pour moi qui t'aime du dedans
tu es ma plus profonde fête.

Celle qui accroît le regard
et limite chaque nuage,
la gardienne du paysage
où je viens me perdre le soir.

J'ai le monde sous mes paupières
mon front à ta vitre appuyé
et tu es glissante lisière
sur le bord de l'illimité.

Reste ma sœur très patiente,
fais-moi l'aumône d'un oiseau,
redis-moi les paroles lentes
de cet horizon sans défaut.

Et posée entre ciel et terre
sois ce chemin aérien
près duquel doucement je viens
apaiser ma faim de lumière.

 

Anne-Marie Kegels




n° 66

Divertissement              10 points B
Trois musiciens dans une clairière
Jouent au milieu des ronciers rouillés
Pour les passants nocturnes qui errent
Sans parvenir à s'ensommeiller.

Ils célèbrent d'infimes offrandes
A l'adresse des germes éclos,
Ou des fougères qui se détendent,
Ou du vol vespéral des corbeaux.

Trois musiciens dans une clairière
En habit de velours, avec des violons,
Enseignent la cérémonie
Des instants de grâce de la terre
Non par des mots chargés de passion,
Mais la vraie musique de fête de la vie.

Patrice de la Tour du Pin



n° 67

Le cerf-volant               10 points B

Soulevé par les vents
Jusqu'aux plus haut des cieux,
Un cerf-volant plein de superbe
Vit, qui dansait au ras de l'herbe,
Un petit papillon, tout vif et tout joyeux.

- Holà ! minable animalcule,
cria du zénith l'orgueilleux,
Ne crains-tu pas le ridicule ?
Pour te voir, il faut de bons yeux
Tu rampes comme un ver...
Moi je grimpe je grimpe
Jusqu'à l'Olympe,
Séjour des dieux.

- C'est vrai, dit l'autre avec souplesse,
Mais moi, libre, à mon gré,
je peux voler partout,
Tandis que toi, pauvre toutou,
Un enfant te promène en laisse.

Jean-Luc Moreau



n° 68

La leçon de choses                 8 points C


Venez poussins
Asseyez-vous
Je vais vous instruire
Sur l'œuf
Dont tous
Vous venez, poussins.

L'oeuf est rond
Mais pas tout à fait
Il serait plutôt
ovoïde
avec une carapace
et vous en venez tous, poussins

Il est blanc
pour votre race
crème ou même orangé
avec parfois collé
un brin de paille
mais ça
c'est un supplément

A l'intérieur il y a

Mais pour y voir
il faut le casser
et alors d'où -vous, poussins - sortiriez ?

 

Raymond Queneau

 

n° 69

Une graine voyageait            8 points C

Une graine voyageait
toute seule pour voir le pays.
Elle jugeait les hommes et les choses.
Un jour elle trouva
joli le vallon
et agréables quelques cabanes.
Elle s'est endormie.
Pendant qu'elle rêvait
elle est devenue brindille
et la brindille a grandi,
puis elle s'est couverte de bourgeons.
Les bourgeons ont donné des branches.
Tu vois ce chêne puissant
c'est lui, si beau, si majestueux,
cette graine,
Oui mais le chêne ne peut pas voyager.

Alain Bosquet



n° 70

L'oiseau du Colorado  10 points B

L'oiseau du Colorado
Mange du miel et des gâteaux
Du chocolat et des mandarines
Des dragées des nougatines
Des framboises des roudoudous
De la glace et du caramel mou.

L'oiseau du Colorado
Boit du champagne et du sirop
Suc de fraise et lait d'autruche
Jus d'ananas glacé en cruche
Sang de pêche et navet
Whisky menthe et café.

L'oiseau du Colorado
Dans un grand lit fait dodo
Puis il s'envole dans les nuages
Pour regarder les images
Et jouer un bon moment
Avec la pluie et le beau temps.

Robert Desnos



n° 71

J’ai vu…                      12 points B


J'ai appelé le terrassier
il marchait à cloche-pied
j'ai appelé le moissonneur
il jurait comme un voleur
j'ai appelé le cordonnier
il jetait tous ses souliers
alors je m'en suis allée
j'ai vu des hannetons
tâtonnant en rond
j'ai vu des limaces
faire la grimace
j'ai vu une libellule
très crédule
puis me penchant encore
j'ai vu un chou-fleur
chercher l'heure
j'ai vu un artichaut
qui rêvait d'être au chaud
chemin faisant
j'ai vu un lampadaire
le nez en l'air
j'ai vu un vélo
près de l'eau
j'ai vu un canard
en retard
j'ai vu un lapin
jouer au crincrin
puis j'ai vu des gens
mécontents
car ils ne voyaient rien

Huguette Amundsen



n° 72

Le premier vol de l’hirondelle

 8 points C


Mes ciseaux à peine aiguisés
Coupent le ciel qui se déplace.

Une brasse. Encore une brasse.
Dans l’ouverture de la nasse

- Bon hirondeau chasse de race  -
Un moustique s’est enfourné.

Ce petit nid où je suis né
Comme il s’éloigne dans l’espace !

A tire-ligne d’hirondelle
C’est un nom nouveau que j’écris

Et je l’écris à tire-d’aile
Et je l’écris à tire-cri

Pierre Menanteau



n° 73

Les corridors où dort Anne qu'on adore                                      10 points B

La petite Anne, quand elle dort,

Où s'en va-t-elle ?

Est-elle dedans, est-elle dehors,

Et que fait-elle ?


Pendant la récré du sommeil,
A pas de loup,
Entre la Terre et le soleil,
Anne est partout.

Les pieds nus et à tire-d'aile
Anne va faire
Les quatre cent coups dans le ciel
Anne s'affaire.

La petite Anne, quand elle dort,
Qui donc est-elle ?
Qui dort ? Qui court par-dessus bord ?
Une autre, et elle.

L'autre dort et a des ailes,
Anne dans son lit, Anne dans le ciel.

Claude Roy




n° 74

Le petit grillon             10 points B


Le petit grillon qui garde la montagne
A bien du mérite croyez-moi
Quand de partout
Coucous et hiboux font ou
Coucou coucou
ou ouh ouh ouh ouh
A d’autres coucous
ou d’autres hiboux
qui font à tout coup
ou coucou coucou
ou ouh ouh ouh ouh
Toute toute toute la nuit
Le petit grillon vaillant
a bien du mérite
Et qu’est-ce qui le retient
Dites-le moi
Messieurs
De se croiser les bras
et de dormir longtemps
Sa tête
Entre ses deux yeux.

 

Paul Vincensini



n° 75

Cavalcade                    8 points C


Un cheval de lune
Courait sur le sable
Un poulain d'écume
Trottait sur la grève,
Au trot, au trot, au galop.

Un cheval d'ivoire
Courait dans le soir,
Un cavalier rouge
Traversait l'automne,
Au trot, au trot, au galop.

Un cheval de pluie
Courait dans la nuit
Un coursier de verre
Labourait la mer,
Au trot, au trot, au galop.

Et tous les enfants
Poursuivaient en rêve
Toutes ces crinières
Libres dans le vent,
Au trot, au trot, au galop.

Louis Guillaume



n° 76

Le coq                         8 points C


Je vais fabriquer un coq de clocher,
Il sera tout noir au soleil couché,

Il sera tout blanc au soleil levant
Et d'argent brillant à midi tapant.

Vous ai-je assez dit que je vous aimais!

Mon coq de clocher ne parle jamais.

A Londres, Paris, vous ai-je attendue!
Lui, ne commet pas la moindre bévue.

J'ai perdu le Nord, il me le rendra,
Nous irons ensemble où ça nous plaira.

Henri Thomas



n° 77

Une poule sur un mur         8 points C


Une poule sur un mur
A pondu quatorze oeufs frais
Mais pendant qu'elle pondait,
Le soleil d'août les cuisait.

Un poule sur un mur
A couvé quatorze oeufs durs.
Il en sortit des poulets
Aussi durs que des galets.

C'est depuis lors que l'on voit
Folle encor de désarroi,
Une poule sur un mur
Qui picote du pain dur.

C'est depuis lors que l'on voit
Picoti et picota
Une poule qui cent fois
Grimpe au mur et saute en bas.

Maurice Carême

 

 

n° 78

Sonnet du chat                      8 points C


Le chat lutte avec une abeille
autour de sa fourrure,
je vois l'azur de ses merveilles,
un arbre, une mâture.

La mer apporte à mon oreille
le bruit des aventures
que nous vivons si tu t'éveilles
témérité future.

Je me consacre aux vertes îles,
favorables au sage
qui sait trouver un dieu tranquille
entre palme et rivage.

Le chat s'en va, brillant et beau,
pour guetter les oiseaux.

Henri Thomas



n° 79

Déjeuner du matin       14 points A


Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuiller
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s’est levé
Il a mis
Son chapeau sur la tête
Il a mis son manteau de pluie
Parce qu’il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j’ai pris
Ma tête dans ma main
Et j’ai pleuré.

 

Jacques Prévert



n° 80

L’oiseau voyou            10 points B


Le chat qui marche l’air de rien
voulait se mettre sous la dent
l’oiseau qui vit de l’air du temps
oiseau voyou oiseau vaurien

Mais plus futé l’oiseau lanlaire
n’a pas sa langue dans sa poche
et siffle clair comme eau de roche
un petit air entre deux airs.

Un petit air pour changer d’air
et s’en aller voir du pays
un petit air qu’il a appris
à force de voler en l’air

Faisant celui qui n’a pas l’air
le chat prend l’air indifférent.
L’oiseau s’estime bien content
et se déguise en courant d’air.

Claude Roy

 

n° 81

Chanson pour les enfants de l’hiver

12 points B


Dans la nuit de l’hiver
galope un grand homme blanc

C’est un bonhomme de neige
avec une pipe en bois
un grand bonhomme de neige
poursuivi par le froid

Il arrive au village
voyant de la lumière
le voilà rassuré

Dans une petite maison
il entre sans frapper
et pour se réchauffer
s’asseoit sur le poêle rouge
et d’un coup disparaît
ne laissant que sa pipe
au milieu d’une flaque d’eau
ne laissant que sa pipe
et puis son vieux chapeau.

 Jacques Prévert

 

 

n° 82

L’albatros                    18 points A


Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boîtant, l’infirme qui volait !

Le poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Charles Baudelaire

 

 

n° 83

Avant-printemps                        6 points C


Des oeufs dans la haie
Fleurit l’aubépin
Voici le retour
Des marchands forains.

Et qu’un gai soleil
Pailleté d’or fin
Eveille les bois
Du pays voisin !

Est-ce le printemps
Qui cherche son nid
Sur la haute branche
Où niche la pie ?

C’est mon coeur marqué
Par d’anciennes pluies
Et ce lent cortège
D’aubes qui le suit.

René-Guy Cadou


n° 84

A  vol d’oiseau             8 points C

Où va-t-il, l’oiseau sur la mer ?
Il  vole, il vole...
A-t-il au moins une boussole ?

Si un coup de vent
Lui rabat les ailes,
Il tombera dans l’eau
Et ne sait pas nager.

Et que va-t-il manger?
Et si ses forces l’abandonnent,
Qui le secourra ? Personne.

Pourvu qu’il aperçoive à temps
Une petite crique !
C’est tellement loin, l’Amérique...

Michel Luneau

n° 85

La clef des champs       12 points B

Qui a volé la clef des champs ?
La pie voleuse ou le geai bleu ?
Qui a perdu la clef des champs ?
La marmotte ou le hoche-queue ?
Qui a trouvé la clef des champs ?
Le lièvre vert ? Le renard roux ?
Qui a gardé la clef des champs ?
Le chat, la belette ou le loup ?
Qui a rangé la clef des champs ?
La couleuvre ou le hérisson ?
Qui a paumé la clef des champs ?
La musaraigne ou le pinson ?
Qui a mangé la clef des champs ?
Ce n’est pas moi. Ce n’est pas vous.
Elle est à personne et partout,
La clé des champs, la clef de tout.

Claude Roy


n° 86

La licorne                     10 points B

La licorne ne peut être capturée
qu’entre les genoux d’une demoiselle
son oeil est une pierre précieuse
qu’on nomme escarboucle et qui est tendre
L’escarboucle est une pierre précieuse tendre et rare
dans l’oeil de la licorne d’où tombe une larme
qui mouille la robe de la demoiselle
qui vient de l’emprisonner
Cela se passe dans un pré
au milieu du Moyen Age
les nuages sont des coussins
d’où descendent des épées d’or
ce sont les regards du soleil qui regarde
la capture de la licorne.

Jacques Roubaud


n° 87

La môme néant               6 points C

Quoi qu’a dit ?
- A dit rin.
Quoi qu’a fait ?
- A fait rin.
A quoi qu’a pense ?
- A pense à rin.
Pourquoi qu’a dit rin ?
Pourquoi qu’a fait rin ?
Pourquoi qu’a pense à rin ?
- A’xiste pas.

Jean Tardieu


n° 88

Le chou                               10 points B

Un chou se prenant pour un chat
léchant son museau moustachu,
sa bedaine de pacha,
à ses feuilles s’arracha,
pour prouver que sous son poncho
couleur d’artichaut,
son pelage était doux et chaud,
sa queue de soie, sa robe blanche.
En miaulant à belle voix,
le chou se percha sur un toit,
puis dansa le chachacha
de branche en branche.
Or, le chou n’était pas un chat
aux pattes de caoutchouc,
sur la ramure il trébucha
et c’est ainsi que le chou chût
fâcheusement et cacha
sa piteuse mésaventure
dans un gros tas d’épluchures.

Charles Dobzynski

n° 89

Le dilemme                                   6 points C

J’ai vu des barreaux
je m’y suis heurté
c’était l’esprit pur.
J’ai vu des poireaux
je les ai mangés
c’était la nature.
Pas plus avancé !
Toujours des barreaux
toujours des poireaux !
Ah ! si je pouvais
laisser les poireaux
derrière les barreaux
la clé sous la porte
et partir ailleurs
parler d’autre chose !

Jean Tardieu


n° 90

Le coeur trop petit         12 points B

Quand je serai grand
Dit le petit vent
J’abattrai
La forêt
Et donnerai du bois
A tous ceux qui ont froid.
Quand je serai grand
Dit le petit vent
Je nourrirai tous ceux
Qui ont le ventre creux.
Là-dessus s’en vient
La petite pluie
Qui n’a l’air de rien
Abattre le vent
Détremper le pain
Et tout comme avant
Les pauvres ont froid
Les pauvres ont faim.
Mais mon histoire
N’est pas à croire :
Si le pain manque et s’il fait froid sur terre
Ce n’est pas la faute à la pluie
Mais à l’homme, ce dromadaire
Qu’à le coeur beaucoup trop petit.

Jean Rousselot


n° 91

Le rat                                 8 points C

Un rat d’eau
va
d’un radeau
bas
au ras dos
pouah !
d’un boa.
Le rat bat,
beau
à Rabat
l’eau
et rabat
oh !
son chapeau
Le rat beau
a
un rabot
d’bois,
d’or à beau
poids
oh là là !
Le rat, gars,
aux
airs Agha
sots
d’un raga
faux
fait cadeau !

Christian Laucou


n° 92

Le roi lion                                   8 points C

Faut pas confondre les bestiaux
avec les petites bestioles
ça irrite le campagnol
quand on le prend pour un taureau
Faut pas confondre les zoziaux
avec les personnes avicoles
ça rend la perruche folle
quand on l’assimile au corbeau
Mais le li-on le Roi li-on
ne craint pas ces confusions
De sa rugissante crinière
il éparpille les éléphants
pour la grande joie des enfants
de la Metro-Goldwyn-Mayer.

Jacques Roubaud


n° 93

Le globe                              10 points B

Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore
Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.
Offrons le globe aux enfants,
Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie,
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.

Nazim Hikmet


n° 94

Le Laboureur et ses enfants  14 points A
Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût.
Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.

Jean de La Fontaine


n° 95

Les Djinns               50 points A+A+A

Murs, villes,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C’est l’haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu’une flamme
Toujours suit !

La voix plus haute
Semble un grelot.
D’un nain qui saute
C’est le galop.
Il fuit, s’élance.
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d’un flot.

La rumeur approche.
L’écho la redit.
C’est comme la cloche
D’un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s’écroule,
Et tantôt grandit.

Dieu ! La voix sépulcrale
Des Djinns !...Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l’escalier profond.
Déjà s’éteint ma lampe,
Et l’ombre de ma rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu’au plafond.

C’est l’essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vole fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau lourd et rapide,
Volant dans l’espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.

Ils sont tout près ! - Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu’une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !

Cris de l’enfer ! Voix qui hurle et qui pleure!
L’horrible essaim, poussé par l’aquilon,
Sans doute, ô ciel ! S’abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l’on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu’il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon !

Prophète ! Si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J’irai prosterner mon front chauve
Devant tes encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d’étincelles,
Et qu’en vain l’ongle de leurs ailes
Grince et crie à ses vitraux noirs !

Ils sont passés ! - leur cohorte
S’envole et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leur coups multipliés.
L’air est plein d’un bruit de chaînes,
et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !

De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l’on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d’une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d’un vieux toit.

D’étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des Arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instant s’élève,
Et l’enfant qui rêve
Fait des rêves d’or.

Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leur pas ;
Leur essaim gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu’on ne voit pas.

Ce bruit vague
Qui s’endort,
C’est la vague
Sur le bord ;
C’est la plainte
Presque éteinte
D’une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit...
J’écoute :
Tout fuit,
Tout passe ;
L’espace
Efface
Le bruit.

Victor Hugo


n° 96

Les hiboux             10 points B

Ce sont les mères de hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur leurs genoux.

Leurs yeux d’or valent des bijoux
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux, point de genoux !

Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? Les Andalous ?
Ou dans la cabane bambou ?
A Moscou ? Ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?

Hou ! Hou !
Pas du tout, c’était chez les fous.

Robert Desnos

n° 97

J’écris                      10 points B

J'écris des mots bizarres
J'écris des longues histoires
J'écris juste pour rire
Des choses qui ne veulent rien dire.
 
Ecrire c'est jouer

J'écris le soleil
J'écris les étoiles
J'invente des merveilles
Et des bateaux à voiles.
 
Ecrire c'est rêver

J'écris pour toi
J'écris pour moi
J'écris pour ceux qui liront
Et pour ceux qui ne liront pas.
 
Ecrire c'est aimer

J'écris pour ceux d'ici
Ou pour ceux qui sont loin
Pour les gens d'aujourd'hui
Et pour ceux de demain.

Ecrire c'est vivre.

Geneviève Rousseau


n° 98

Le dormeur du val        14 points A

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud

n° 99

Récatonpilu ou le jeu du poulet  6 points C
Si tu veux apprendre
des mots inconnus,
récapitulons,
récatonpilu.
Si tu veux connaître
des jeux imprévus,
locomotivons,
locomotivu.
Je suis le renard
je cours après toi
plus loin que ma vie.
Comme tu vas vite !
Si je m'essoufflais !
Si je m'arrêtais !
Jean Tardieu

n° 100

Comme il est bon d'aimer    6  points C
Il suffit d'un mot
Pour prendre le monde
Au piège de nos rêves

Il suffit d'un geste
Pour relever la branche
Pour apaiser le vent

Il suffit d'un sourire
Pour endormir la nuit
Délivrer nos visages
De leur masque d'ombre

Mais cent milliards de poèmes
Ne suffirait pas
Pour dire
Comme il est bon d'aimer
Jean-Pierre Siméon


n° 101

Crayons de couleur      6  points C
Le vert pour les pommes et les prairies,
Le jaune pour le soleil et les canaris,
Le rouge pour les fraises et le feu,
Le noir pour la nuit et les corbeaux
Le gris pour les ânes et les nuages,
Le bleu pour la mer et le ciel
Et toutes les couleurs pour colorier
Le monde
Chantal Couliou

n° 102

L'orange des rêves                     6  points C
Tu peux perdre le nord
comme on dit
tu peux perdre patience
tu peux perdre ton temps

perdre la mémoire
et ses chemins aveugles

Le sommeil peut glisser
comme une truite
dans tes mains

Tu peux perdre ton sourire

Mais ne perds pas
ne perds jamais
l'orange de tes rêves

Jean-Pierre Siméon

n° 103

Devinettes                     8  points C
Qui décoiffe la mer
Avec des mains qu'on ne voit pas ?

Qui roule sa chanson
Dans la gorge des torrents ?

Qui n'est jamais si lourd
Que quand un oiseau meurt ?

Le vent la pierre et le silence

Qui est ronde comme une joue
Et plus lourde que la peine ?

Qui habille le monde
Quand il se fait tard ?

Qui souffle chaque soir
La bougie du soleil ?

La pierre le silence et le vent
Jean-Pierre Siméon

n° 104

La pomme et l'escargot  14  points A
Il y avait une pomme
A la cime d'un pommier ;
Un grand coup de vent d'automne
La fit tomber sur le pré !

Pomme, pomme,
T'es-tu fait mal ?
J'ai le menton en marmelade
Le nez fendu
Et l'oeil poché !

Elle tomba, quel dommage,
Sur un petit escargot
Qui s'en allait au village
Sa demeure sur le dos

A ! Stupide créature
Gémit l'animal cornu
T'as défoncé ma toiture
Et me voici faible et nu.

Dans la pomme à demi blette
L'escargot, comme un gros ver
Rongea, creusa sa chambrette
Afin d'y passer l'hiver.

Ah ! Mange-moi, dit la pomme,
Puisque c'est là mon destin ;
Par testament je te nomme
Héritier de mes pépins.

Tu les mettras dans la terre
Vers le mois de février,
Il en sortira, j'espère,
De jolis petits pommiers. 
Charles Vildrac

 

n° 105

Demain, dès l'aube...     12  points B


Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo

n° 106

La pluie                        14  points A
La pluie et moi marchions
Bons camarades
Elle courait devant et derrière moi
Et je serrais notre trésor dans mon coeur
Elle chantait pour nous cacher

Elle chantait pour endormir mon coeur
Elle passait sur mon front sa peau mouillée
Et humaine ma chère pluie
Elle tendait l'oreille               
Pour savoir si mon chant silencieux était anéanti

Elle me met les mains sur les épaules
Et court tant haut dans la plaine du ciel
Et tant me montre les diamants du soleil
Et tant toujours me caresse la peau
Et tant toujours me chante dans les os
Que je deviens un bon camarade
J'entonne une grande chanson
Qu'on entend et les cabarets et les oiseaux
Disent à notre passage Maintenant
Ils chantent tous les deux.

Pierre Morhange


n° 107

Le loup et le chien                 32  points A+A

Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
"Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
"Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.

Jean de La Fontaine

n° 108

Le cancre                      10  points B
Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu'il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.
Jacques Prévert


n° 109

Le bonheur                                     14  points C
 Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer.
Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite. Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer.
Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite, dans l’ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer.
Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite, sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer.
Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite, sur le flot du sourcelet, cours-y vite. Il va filer.
De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite, de pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer.
Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite. Saute par-dessus la haie, cours-y vite ! Il a filé !
Paul Fort

n° 110

Grenouilles                   8  points C


Ne coassons pas
Dit crapaud papa
Nul coassement
Dit crapaud maman
Moi pas coasser
Dit crapaud jeunet

Ils en font du bruit
Dit le vieux marquis
Vite une corvée
Disent les laquais
Ça c’est pas marrant
Dit le paysan

Si j’avais su ça
Dit crapaud papa
Au lieu de nous taire
Dit crapaud mémère
Nous aurions chanté
Dit crapaud jeunet

Raymond Queneau

 

n° 111

Le renard et la cigogne        22  points A

Compère le Renard se mit un jour en frais,
et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fût petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galant pour toute besogne,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la Cigogne le prie.
"Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. "
A l'heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort la politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,
En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.

Jean de La Fontaine

n° 112

Portrait de l’autre                 10 points B
L’Autre :
Celui d’en face, ou d’à côté,
Qui parle une autre langue
Qui a une autre couleur,
Et même une autre odeur
Si on cherche bien…

L’Autre :
Celui qui ne porte pas l’uniforme
Des bien-élevés,
Ni les idées
Des bien-pensants,
Qui n’a pas peur d’avouer
Qu’il a peur…

L’Autre :
Celui à qui tu ne donnerais pas trois sous
Des-fois-qu’il-irait-les-boire,
Celui qui ne lit pas les mêmes bibles,
Qui n’apprend pas les mêmes refrains…

L’Autre :
N’est pas nécessairement menteur, hypocrite,
vaniteux, égoïste, ambitieux, jaloux, lâche,
cynique, grossier, sale, cruel…
Puisque, pour Lui, l’AUTRE…
C’est Toi
Robert Gélis

n° 112bis

POEME      6  points C
Araignée du matin: chagrin,
pensait un bébé coccinelle
cherchant à libérer ses ailes.
Araignée du midi: souci
grognait un rat dans son chagrin
de voir un chat près de sa belle.
Araignée du soir: espoir,
disait au briquet l'étincelle
mourant dans le vent du jardin.
Mais l'araignée dans sa nacelle
prisonnière à vie de sa faim
rêvait qu'elle était hirondelle.
Pierre Béarn

n° 113

Le Rat de ville et le Rat des champs 16 points A
Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'Ortolans.
Sur un Tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le Rat de ville détale ;
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
Achevons tout notre rôt.
- C'est assez, dit le rustique ;
Demain vous viendrez chez moi :
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de Roi ;
Mais rien ne vient m'interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre.

Jean de La Fontaine

 

n° 114

Devinette                      6  points C
«Je suis brin de bois noirci
et travaille jour et nuit.
Je soulève—c'est inouï—
cent fois mon poids, et sans cric.
Du grenier jusqu'au fournil
j'engrange des grains de riz.
Ne touchez pas à mon nid
vous feriez venir la pluie. »
C'est ce qu'un soir m'avait dit,
quand nous étions entre amis,
la fourmi.
Michel Beau

n° 115

Caillou                          6  points C
Caillou noir,
Pas d'espoir.
Caillou rouge,
Rien ne bouge.
Caillou rond,
Pas un rond.
Caillou gris,
Rien de pris.
Caillou vert,
On le perd.
Caillou rose,
Peu de chose.
Caillou jaune,
On le prône,
Caillou blanc,
Vif argent.
Caillou d'or,
Quel trésor !
Caillou bleu,
Qui dit mieux ?
Moi, moi, moi,
Dit le fou:
Caillou plat
Et sans trou.
Maurice Carême


n° 116

Liberté                          8  points C
Prenez du soleil
Dans le creux des mains,
Un peu de soleil
Et partez au loin!
Partez dans le vent,
Suivez votre rêve ;
Partez à l'instant,
La jeunesse est brève !
Il est des chemins
Inconnus des hommes,
Il est des chemins
Si aériens !
Ne regrettez pas
Ce que vous quittez.
Regardez, là-bas,
L'horizon briller.
Loin, toujours plus loin,
Partez en chantant !
Le monde appartient
A ceux qui n'ont rien.
Maurice Carême

n° 117

Le secret                       14  points A
Sur le chemin près du bois
J'ai trouvé tout un trésor:
Une coquille de noix
Une sauterelle en or
Un arc-en-ciel qu'était mort.
A personne je n'ai rien dit
Dans ma main je les ai pris
Et je l'ai tenue fermée
Fermée jusqu'à l'étrangler
Du lundi au samedi.
Le dimanche l'ai rouverte
Mais il n'y avait plus rien !
Et j'ai raconté au chien
Couché dans sa niche verte
Comme j'avais du chagrin.
Il m'a dit sans aboyer:
« Cette nuit, tu vas rêver. »
La nuit, il faisait si noir
Que j'ai cru à une histoire
Et que tout était perdu.
Mais d'un seul coup j'ai bien vu
Un navire dans le ciel
Traîné par une sauterelle
Sur des vagues d'arc-en-ciel !
René de Obaldia

n° 118

L’automne                   8  points C
On voit tout le temps, en automne,
Quelque chose qui vous étonne ,
C'est une branche tout à coup ,
Qui s'effeuille dans votre cou.

C'est un petit arbre tout rouge,
Un , d'une autre couleur encor ,
Et puis partout ,ces feuilles d'or
Qui tombent sans que rien ne bouge.

Nous aimons bien cette maison,
Mais la nuit si tôt va descendre !
Retournons vite à la maison
Rôtir nos marrons dans la cendre.
Lucie Delarue-Mardrus


n° 119

Complainte du petit cheval blanc 14  points A
Le petit cheval dans le mauvais temps,
qu'il avait donc du courage !
C'était un petit cheval blanc,
tous derrière et lui devant.

Il n'y avait jamais de beau temps
dans ce pauvre paysage.
Il n'y avait jamais de printemps
ni derrière, ni devant.

Mais toujours il était content,
menant les gars du village,
à travers la pluie noire des champs,
tous derrière et lui devant.

Sa voiture allait poursuivant
sa belle petite queue sauvage.
C'est alors qu'il était content,
eux derrière et lui devant.

Mais un jour, dans le mauvais temps,
un jour qu'il était si sage,
il est mort par un éclair blanc,
tous derrière et lui devant.

Il est mort sans voir le beau temps,
qu'il avait donc du courage !
Il est mort sans voir le printemps
ni derrière ni devant.

Paul Fort

n° 120

J’ai vu le menuisier               6  points C
J'ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.

J'ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.

J'ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.
 
J'ai vu le menuisier
Approcher le rabot.

J'ai vu le menuisier
Donner la juste forme.

Tu chantais, menuisier,
En assemblant l'armoire.
 
Je garde ton image
Avec l'odeur du bois.
 
Moi, j'assemble des mots
Et c'est un peu pareil.

Eugène Guillevic

n° 121

La biche              8  points C
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.

Pour raconter son infortune
A la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.

Mais aucune réponse, aucune,
A ses longs appels anxieux !
Et, le cou tendu vers les cieux,
Folle d'amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.
Maurice Rollinat


n° 122

Chanson des escargots qui vont à l’enterrement       22 points A
A l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le noir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le coeur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dis
Ça noircit le blanc de l'oeil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vraie chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais là-haut dans le ciel
La lune veille sur eux.

Jacques Prévert

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